6/ Soute

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     Elles avaient dormi sur le pont. Enfin, dormi était un bien grand mot. Disons, qu'elles avaient somnolé. La peur et le froid de l'air marin n'avaient pas favorisé leur sommeil. Mais peut être était-ce la première et dernière nuit sur ce bateau qu'elles auraient été tranquilles. Elles furent éveillées bien évidement aux aurores avec le soleil printanier, mais aussi par les premiers matelots, penchés au dessus d'elles.

     - Ne vous inquiétez pas mes chères, demain vous dormirez bien au chaud dans nos lits, raillaient-ils, un sourire malsain aux lèvres.

     Elles se lançaient toutes des regards paniqués, et l'une d'elle, celle qui avait tapé dans l'œil du capitaine, restait plus en retrait, recroquevillée, en observant la scène.

     - Quels jolis minois nous avons là, continuaient-ils en s'approchant si près de leurs proies qu'elles pouvaient sentir leurs halènes fétides sur leurs visages.

     - Au travail bande d'incapables ! s'écria alors le capitaine sorti subitement de nulle part dans leurs dos. Vous aurez tout le loisir de les observer ce soir, si vous l'avez mérité.

     Ils ne se le firent pas dire deux fois. S'appuyant sur leurs canes ou leurs jambes de bois, ils se dirigèrent vers leurs postes respectifs. La jeune femme en retrait croisa alors le regard du chef du bateau et détourna immédiatement les yeux. Mais il était trop tard.

     - Lève-toi, ordonna-t-il.

     Elle ne broncha pas, comme si elle ne savait pas qu'il s'adressait à elle. Il finit par lui attraper violement le bras et la mettre debout devant lui.

     - Obéis lorsque je t'ordonne quelque chose !

     Elle resta droite, sans esquisser le moindre geste, croisant les bras devant son corps à moitié découvert.

     - Décroise tes bras.

     Elle s'exécuta immédiatement cette fois-ci, sentant le regard de son maitre la toiser de haut en bas. Il eut un sourire satisfait et continua de lui donner des ordres, comme s'il s'agissait d'un jeu très amusant pour lui :

     - Quel est ton nom ?

     La jeune femme fut surprise. Jamais elle n'aurait pensé qu'on lui demandât son nom à elle, une simple esclave. Néanmoins, elle n'obéit pas. Elle ne voulait pas lui faire ce plaisir, et lui révéler la seule chose qui lui était encore personnelle. Qui faisait qu'elle était encore un être humain.

     - Réponds !

     Elle sursauta. Mais elle était entêtée, et elle ne parlerait pas, jamais. Il lui saisit à nouveau le bras et la secoua violement :

     - As-tu déjà oublié qui était le chef ici ?

     Elle déglutit mais resta muette. Il la repoussa avec force et elle tomba en arrière en sentant son dos cogner contre un tonneau.

     - Tu as raison, tu ne vaux pas mieux que les autres, donc tu n'as pas besoin de nom. Puisque tu n'es qu'une esclave, tu vas me nettoyer le pont de fond en comble.

     Il attribua d'autres tâches plus complexes les unes que les autres aux captives, ce qui les occuperait pour au moins plusieurs journées entières.

     - La première qui faiblit ou qui se donne la permission de faire une pause, passe par-dessus bord. J'ai donné ordre à mes hommes de vous traiter comme il se doit, comme de vulgaires objets donc. Vous ne m'avez pas coûté très cher, j'ai dépensé le prix de vos vies. Si vous mourrez, je n'aurai pas perdu beaucoup d'argent. Au travail.

     Elles se levèrent ensemble, sans hésitations et se dirigèrent vers leurs postes respectifs. La jeune femme à qui on avait donné la tâche de nettoyer le pont dans son intégralité, chercha des yeux un éventuel sceau d'eau. Il n'y en avait bien évidement aucun, et elle fut contrainte de descendre dans la soute du navire. Elle posa prudemment ses pieds sur les marches branlantes et essaya de faire le moins de bruit possible.

     Des odeurs de moisi et d'eau salée virent lui piquer les narines. Elle s'avança lentement dans l'espace sombre, en cherchant un sceau d'eau et une éponge dans cette obscurité quasiment totale. Sur sa gauche, elle remarqua une porte, qui ressemblait à un petit placard. Elle tourna la poignée et serra les dents pour tenter d'ouvrir cette porte aux gongs totalement rouillés. Voilà bien longtemps qu'elle n'avait pas été ouverte.

     Lorsqu'elle s'ouvrit avec fracas, une nuée d'insectes et de rats miteux en sortirent d'un seul coup. La jeune femme poussa un cri malgré elle avant de plaquer une main sur sa bouche en regrettant immédiatement sa réaction. Le sceau et le balai se trouvaient là, mais avant qu'elle ait pu déguerpir avec le matériel, un homme fit irruption derrière elle :

     - Qui ta donné la permission de venir ici, esclave ?

     Son ton était si agressif que l'intéressée resta muette et tremblante. Le pirate à l'allure repoussante et aux longs cheveux noirs et crasseux, s'avança plus près de la malheureuse :

     - Tu te crois peut être déjà tout permis parce que tu es la favorite du capitaine ?

     Elle n'eu même pas le temps de se justifier qu'il porta une main squelettique à sa gorge en hurlant :

     - Réponds !

     La respiration soudainement coupée, elle eu encore plus de mal à articuler. Elle secoua vivement la tête tandis que la pression sur son cou se resserrait.

     - Et dire que tu n'auras même pas tenu un jour entier sur ce bateau avant de te faire tuer.

     Une lueur de panique brilla dans ses yeux et elle agrippa le bras de son bourreau avec ses mains pour lui faire lâcher sa prise. Il prenait un malin plaisir à la faire souffrir et à sentir la vie la quitter entre ses doigts.

     - Lâche là ! Elle a parfaitement le droit de venir ici, et à mon avis ce n'était que pour prendre un sceau et une éponge.

     Le pirate, surpris par la voix grave qui venait de résonner dans la pièce vide, s'écarta brusquement de la jeune femme qui tomba à genoux au sol en toussant en en prenant de longues inspirations, malgré la mauvaise odeur de la soute et du matelot qui se trouvait à moins d'un mètre d'elle quelques secondes plus tôt.

     - Lève-toi maintenant et va faire ton travail.

     La voix grave qui venait de la sauver appartenait à un grand homme chauve à la peau café au lait et au regard sévère qui avait une petite moustache sous le nez et une courte barbe noire et raide.

     La jeune femme jeta un regard paniqué dans la pièce, mais l'autre pirate avait disparu. Elle baissa alors la tête, se releva sans gestes brusques, attrapa le sceau et l'éponge et remonta précipitamment les marches craquelées pour rejoindre le pont en plein air.

Origines (Princesse Mononoké)Where stories live. Discover now