Chapitre 5

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Coucou toi ! Avant de commencer ce chapitre, je t'invite à aller jeter un coup d'œil à mon nouveau roman : Aveuglément. Mafia, amour, handicap, suspens, guerre seront au rendez-vous !

Je ne t'embête pas plus, bonne lecture ! ;)

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L’incident avec King remonte à deux jours. S’il n’a rien tenté depuis, faute d’occasions, il ne s’est pas retenu de darder sur moi ses expressions perturbantes ou de m’adresser de discrets clins d’œil quand personne ne pouvait le voir. Croire qu’Archibald King allait se lasser ou oublier avec le temps était une grave erreur. Il est du genre tenace, un trait de caractère qui lui a assurément permis d’atteindre son grade de capitaine : sur le terrain, il devient redoutable. Je ne peux pas lui enlever cette compétence, hélas. Alors qu’il venait de marquer un but, il est même arrivé qu’il me glisse discrètement et avec orgueil : « il est pour toi ». Je m’en serai bien passé, s’il croit me faire fondre comme n’importe laquelle de ses groupies hystériques, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude !

Ce soir, je dois voir Lara, nous allons nous prendre quelques sushis et je pourrai lui rapporter tout ce qui me pèse sur le cœur. Je n’ai pas pu lui parler de la photo ou d’Archibald, j’attendais que l’on trouve un moment pour se retrouver. Je considère qu’il n’y a rien de mieux qu’une bonne conversation en face à face. Il est grand temps que j’en discute avec quelqu’un. Les rares fois où j’ai eu ma mère au téléphone, ne m’ont pas été d’une quelconque forme d’aide. Je déteste lui mentir et pour autant je ne peux pas lui dire la vérités, pas pour le moment en tout cas.
 


C’est difficile de lui cacher des choses, elle et moi avons toujours été très soudées, unies comme les cinq doigts de la main. Quand on est fille unique et orpheline de père, on devient très proche de sa mère. Ma boussole, elle a tenu le rôle des deux parents. Et désormais, je lui mens. Usée, j’enfile les patins que m’a attribués le coach avant de mettre mes écouteurs.
 
C’est la pause déjeuner et j’ai décidé d’en profiter pour me familiariser avec la glace, pendant l’absence des joueurs. Chaque jour, j’accomplis la même tâche inlassablement : vérification des filets et parfois placement des plots pour l’entraînement des Tigers. Actions qui se sont toujours ponctuées de chutes aussi magistrales que douloureuses. Si le coach ne me renvoie pas du fait de mon manque d’efficacité, ce sera la fracture d’une de mes jambes ou de mon coccyx qui finira par me mettre out. Il faut que je prouve mon sérieux par la ténacité et la détermination.
 
C’est ce qui créera la différence. Avec une peur que je ne parviens malheureusement pas à canaliser, je m’élance. J’essaie de me montrer logique : droite, gauche, droite, gauche… ça ne m’empêche pas de tomber. Je me remets debout plutôt aisément. L’avantage lorsque l’on chute beaucoup : on se relève plus vite. Comme quoi, tout est une question d’apprentissage dans la vie ! C’est en forgeant qu’on devient forgeron. Énième tentative d’avancée, énième douloureux échec, je viens de m’écrouler pitoyablement sur le derrière.
 
— Que fais-tu, Mickaelson ?
 
Andrew. Quitte à ce que l’on me surprenne, je préfère largement que ce soit lui à Archibald et ses paroles allusives.
 
— Je me remets au patinage, coach. Il est temps que je travaille davantage mes compétences si je veux fournir de meilleurs résultats pour l’équipe.
 
Il apprécie mon initiative, de toute évidence. Bon point Juliana, bon point. Par chacun de mes efforts, le coach réalise que je ne viens pas pour me tourner les pouces, ou m’afficher devant les Tigers en espérant en attirer un dans mon lit. Mon père s’assoit sur le côté, son habitude lors de la pause du midi. J’avance. Sous mes pieds, je ressens les moindres imperfections de la glace : les rainures, les bosses, les trous formés par les hockeyeurs productifs dans la matinée. Son aspect glissant reste ce qui me dérange le plus. Bravos Juliana ! La glace, ça glisse ! CQFD ! Ma jambe, décide d’en faire des siennes et pars en avant indépendamment de ma volonté. Je chute encore ! Un cri m’échappe, ainsi qu’un gémissement lorsque je touche le sol. À cette allure, je vais ressembler à un dalmatien, tacheté de noir et de violet ! Je me relève péniblement.
 
— Soit honnête Mickaelson, tu n’as jamais patiné de ta vie, je me trompe ?
 
Bien que j’aie poursuivi le mensonge des jours durant, il m’a démasqué. Aussi continuer à mentir ne parviendrait qu’à me faire descendre dans son estime.
 
— Non, j’ai très peu pratiqué. Et il se peut que j’aie surévalué mes compétences dans mon CV…
 
Il reste silencieux, inquisiteur. La question me brûle les lèvres et je ne peux la retenir, j’ai la sensation d’être un funambule en suspension sur une corde tranchante.
 
— Vous allez me virer ?
 
Une moue déforme sa bouche. Stupéfaite, je vois mon père sourire pour la première fois. Je ne pensais pas cet être si pondéré capable d’une telle grimace faciale.
 
— Il est évident que tu es loin d’être la meilleure assistante que j’ai eue. Toutefois, j’apprécie ton honnêteté et ta volonté. Je ne peux pas t’en vouloir, quel étudiant fraîchement diplômé n’a jamais enjolivé quelque peu son CV pour trouver un emploi ?
 
Je suis soufflée, il vient de faire preuve d’une humanité et en quelque sorte d’une gentillesse déconcertante. Je le voyais comme une machine sans cœur. Puis-je m’être trompée ? Je suis assez ébranlée et perdue parmi mes nombreuses méditations. Parfois, il correspond à la définition que ma mère en a esquissée, et d’autres fois il est si différent qu’il ne semble pas être celui dont elle m’a dit du mal pendant plus de deux décennies… s’est-il bonifié avec le temps ? En colère, et à raison évidemment, ma mère n’aurait-elle pas exagéré ? Non, tout homme abandonnant la femme qu’il a mise enceinte n’est pas digne d’être un homme ! Qui êtes-vous vraiment, Andrew David ?
 
— Tu es trop raide petite.
 
Je sursaute, ne m’attendant pas à des conseils, il a délaissé ses feuilles sur le banc.
 
— Détends-toi ! Tu as peur de tomber alors tu te crispes. Accepte la possibilité de la chute, tu n’en seras que plus à l’aise.
 
J’essaie d’appliquer ce qu’il me préconise, ça n’a rien d’évident. Lui, comme les garçons de l’équipe, a toujours fait ça, c’est inscrit dans son ADN. Moi je me sens aussi gauche et empotée qu’un éléphant au milieu d’un magasin de porcelaine.
 
— Facile à dire, coach ! C’est votre truc, vous ne tombez plus !
 
— Détrompe-toi, petite ! Je tombe encore aujourd’hui, et cette technique je l’ai acquise par l’entraînement. Rien n’est inné. À une époque lointaine, j’étais comme toi, je débutais. Et comme toi, j’ai chuté. Beaucoup.
 
Il a raison, je suis bien pessimiste de penser que moi seule possède des failles. Tout le monde apprend, plus ou moins tôt, plus où moins bien, plus ou moins vite. Je suis encore en mesure de me perfectionner.
 
— Détends-toi… Corrige ta posture, tu es trop droite. C’est pour ça que tu tombes toujours sur les fesses.
 
J’essaie de l’écouter… En voulant me pencher davantage je subis une sorte de soleil et m’écroule à nouveau sur cette glace que je fréquente bien plus souvent en position horizontale, que verticale. À force, mon empreinte de corps va s’imprimer à la surface, un peu comme les silhouettes dessinées sur les scènes de crime !
 
— Relève-toi, tu t’es jeté en avant. Tes jambes doivent seulement se plier légèrement.
 
Je peine à trouver la bonne posture : je me sens étrange et peu à l’aise.
 
— En général, ton angle doit être de 150 ou 160 degrés. Plus tu iras vite plus ton angle sera faible et tu te recroquevilleras sur toi même. Tu as vu comme les joueurs se rapetissent quand ils se jettent sur le palet ? Tout est une question d’aérodynamisme et de réduction des forces de frottements.
 
Ça tombe sous le sens et j’essaie d’assimiler ses mots en actes. Je dois me pencher, pousser sur les jambes… Et je m’élance. J’ai effectivement l’impression de mieux me débrouiller, mais en prenant de la vitesse je me retrouve promptement en corps à corps avec mon amie la glace.
 
— Ce n’est rien, relève-toi. Tu as compris l’idée, l’entraînement te fera progresser. Rome ne s’est pas construit en un jour. À présent, sors de là. Le pause est presque finie est les joueurs vont continuer à pratiquer !
 
Un coup d’œil à l’horloge murale me permet de confirmer les propos du coach. Je n’ai pas vu le temps passer !
 
— Oui monsieur !
 
Ainsi, voilà le talent de mon père, l’enseignement sportif. Je viens d’expérimenter sa méthode, et nul doute subsiste : il est très bon ! Avec ironie, je remarque qu’il n’était pas là lors de mes premiers pas, il n’était pas là pour m’entendre prononcer mes premiers mots, il ne m’a jamais montré comment faire du vélo, et n’a jamais eu à me remonter le moral quand j’ai connu ma première peine de cœur ; pourtant, Andrew David vient d’apprendre à patiner à sa fille. Ma mère a été celle qui m’a élevé et transmis tout ce que je sais, et je n’aurais jamais cru que mon père m’enseigne quoi que ce soit un jour. Pas même dans mes rêves les plus fous ! Une larme coule sur mes joues. Je me réjouis qu’il ne puisse pas la voir, son attention à nouveau focalisée sur sa paperasse.
 

King of IceWhere stories live. Discover now