Chapitre 22

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Coucou toi ! Avant de commencer ce chapitre, je t'invite à aller jeter un coup d'œil à mon nouveau roman : Aveuglément. Mafia, amour, handicap, suspens, guerre seront au rendez-vous !

Je ne t'embête pas plus, bonne lecture ! ;)

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Une crise de panique, c’est ce que le coach m’a dit que j’ai fait après m’être réveillé sous l’action des petites claques qu’il me prodiguait pour me booster. Il était pâle comme un linge, je pense lui avoir foutu la frousse, s’il savait ce que moi j’ai ressenti : trahison, incompréhension, peur… Dans ma jeunesse, il m’était arrivé de faire des crises de panique, à l’instar de tout ado qui voit une tripotée de psys. Seulement, cela remontait à si longtemps que j’ai été surprise au plus haut point, si bien que je me suis évanouie. J’espérais que ce soit derrière moi, puis mes émotions ont été trop intenses et j’ai replongé.

Avant d’incriminer définitivement ma mère en laquelle je veux croire, il faut qu’elle et moi ayons une conversation dans le blanc des yeux. Pour cela, je n’ai pas prévu d’attendre samedi prochain. Je ne pourrais pas passer cette semaine avec ces doutes en tête et il est exclu que cette conversation se déroule par téléphone. Aussi, lorsque j’ai appelé le coach dans la matinée pour lui demander un jour de congé, il n’a émis aucune objection. À coup sûr, il s’est remémoré ma crise de la veille. Ça a dû peser dans la balance.
 
Pleine de pensées confuses, je prends la route à bord de ma coccinelle et tâche de me concentrer sur ma conduite. Il ne manquerait plus que je fasse un accident. Dans ma détresse, j’ai contacté Lara hier soir. Si elle a tenté de me rassurer, j’ai bien senti qu’elle en revenait. Un tel retournement c’est digne d’une telenovela argentine, ça n’a habituellement pas lieu dans la vraie vie !
 
Pourtant, aujourd’hui, tous les doutes sont permis. Le récit du coach me paraissait on ne peut plus réel. Néanmoins, ma mère n’est pas mesquine et n’aurait jamais privé un homme de paternité et son enfant d’un père. Elle a bien vu comme j’en ai souffert. Elle ne peut pas avoir fait ça. Elle ne peut pas avoir joué la comédie si longtemps.
 
Habituellement, j’aime le paysage qui mène à la maison de campagne de ma mère. Chaque fois, je l’admire et m’en délecte ravie de m’éloigner de la pollution de la ville. Pas aujourd’hui. Le trajet défile sous mes yeux aveugles, je ne peux me réjouir de rien. Tout ce qui compte est ma destination. Lorsqu’enfin je m’engage sur le domaine familial et me gare près du porche d’entrée, c’est en faisant rugir douloureusement le moteur de ma vieille mécanique et en claquant bruyamment la portière. Le brouhaha ameute directement les deux chiens qui se précipitent en ma direction. S’ils me font la fête, je n’ai pas la tête à cela.
 
Ma mère sort, affolée. Elle n’attendait personne et encore moi ma visite. Muette de stupeur, elle me regarde passer en trombe pour entrer dans le salon. Sur mes talons, elle m’interroge.
 
— Ma chérie, qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne dois pas être au travail ?
 
Dépourvue, j’observe cette femme qui m’a mise au monde, qui m’a élevé en m’enseignant toutes les plus belles valeurs morales et matérielles… Comment une personne aussi vertueuse et angélique aurait pu mentir à sa fille sur l’abandon de son père ? Ce ne peut pas être vrai… Et pourtant, il y a ce doute insidieux, qui rampe en moi tel un serpent malicieux.
 
— Il s’est produit quelque chose ? Tu as été renvoyée ?
 
Par où commencer ?
 
— Enfin parle Juliana ! Tu me fais peur !
 
Son visage est en effet submergé d’inquiétude.
 
— Maman, je vais te poser une question et tu devras me répondre avec sincérité. Pas de mensonge, je n’en veux plus. J’ai besoin de le savoir. Et si tu refuses d’être honnête pas, je trouverai une autre personne qui le sera.
 
Elle semble perdue et effrayée. Pas étonnant, je débarque chez elle en furie au beau milieu d’un lundi et lui sème des énigmes…
 
— Mais enfin ma chérie, je ne t’ai jamais menti…
 
— Stop ! Je ne veux pas que tu te justifies, juste la vérité, même si elle est destructrice.
 
Je n’ai jamais parlé si autoritairement à ma mère, les circonstances me poussent à des extrémités méconnues.
 
— C’est mon père qui nous a abandonnés ? Ou toi qui l’as quitté ?
 
Ma voix est glaciale et chevrotante, preuve de ma grande émotion. La question résonne, coup de fouet dans la pièce, et l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête choit. Son expression se décompose littéralement. Si je trouvais Andrew pâle comme un linge, ma mère est presque transparente. Mon cœur s’arrête, j’ai ma réponse. Sur son visage émane le regret, la peur et presque instantanément, des larmes.
 
— Tu m’as menti, tout ce temps… incrédulité, affres de douleurs, voilà ce que l’on entend.
 
Ses pleurs redoublent et je suis partagée entre colère, affliction, incompréhension. Mon père, ignore tout de mon existence ! Je suis… Détruite. Mes sensations sont si éparses que je ne sais même pas ce qui me traverse. La violence de la dévastation, le supplice inhumain du mensonge et la peine incommensurable d’avoir été dupée par l’être que l’on adore le plus dans la vie. Ma vision se trouble, les perles de la tristesse.
 
— Je suis tellement désolée, Julia ! Je te promets que je ne voulais pas, mais je n’ai pas eu le choix…
 
C’en est trop. Un surplus d’informations et de coups durs à encaisser d’un seul coup. Je ne peux en entendre davantage, je ne peux plus l’écouter, pas pour l’instant, il faut que je m’en aille. Je suis trop confuse, je pourrais dire, faire des choses abominables et je répugne à céder à des pulsions colériques. Elles ne sont pas moi. J’étouffe, j’ai l’impression que cet endroit est un tissu de mensonges, je ne peux plus rester ici.
 
— Je n’avais pas le choix… répète-t-elle en sanglotant.
 
La voir comme ça me tue, je ne l’ai jamais connu dans un pareil état. Ça me brise le cœur. Parallèlement, je suis trop anéantie pour éprouver une compassion pleine et entière pour elle. Il me semble qu’elle avait le choix entre m’offrir une vie de famille et un quotidien sur lequel planait le fantôme de mon père. Je dois partir.
 
— On a toujours le choix.
 
Sans attendre, je tourne les talons et sors. L’air pur me fait du bien, sans pour autant me calmer. Derrière moi, ma mère essaie de me rattraper. Surtout pas, il ne faut pas. Je suis bien trop furieuse, déboussolée, affligée.
 
— Julia arrête-toi, crie-t-elle avec douleur.
 
Sourde à sa détresse, déjà surpassée par la mienne, je me rue sur ma voiture dont j’ouvre la portière.
 
— Julia, je t’interdis de prendre la route dans cet état, tu vas avoir un accident ! Hurle-t-elle alors que les Bess et Max s’agitent et aboient, peu habitués à une telle scène.
 
Je ne l’écoute pas. La seule chose dont j’ai besoin c’est partir d’ici. Ma coccinelle gronde et démarre en trombe. Dans mon rétroviseur, je peux voir les chiens et ma mère courir après la voiture, tant pis. Ils s’arrêtent au portique de la propriété. C’est trop tard, elle ne pourra pas me retenir.
 
Mon pied écrase la pédale d’accélérateur et je fais bientôt prendre à cette vieille boite de conserve des vitesses qu’elle n’avait encore jamais atteintes. D’une main fébrile, j’essuie mes yeux et mets en marche la radio. M’arrêtant sur la première station qui capte dans le coin, je pousse la musique à fond, en pensant qu’elle peut parvenir à me distraire. Dans une montée, alors que ma visibilité est réduite, je me retrouve face à face avec une autre voiture qui klaxonne de toute ses forces et me fait des appels de phare qui m’éblouissent. Peut-être croit-elle que je me suis endormie… Je redresse mon volant de justesse dans un cri d’épouvante.
 
Sur ma voix, mon véhicule décélère. Bordel, je… je viens de frôler la mort ? Indubitablement. Asthénique, je me range sur le bas-côté quand cela m’est possible. Immobile, mon premier réflexe est de couper le country que beugle l’auto. Alors le silence m’accable, et je m’effondre sur mon volant, dont le klaxon retentit un long moment. En larmes, c’est bien le cadet de mes soucis. Elle m’a menti. Celui que j’ai tant haï ne savait même pas que j’existais… Une rage folle m’envahit face à l’injustice de la situation… Pourquoi ? Avec force, mes poings s’abattent sur le tableau de bord, jusqu’à que mes phalanges soient ouvertes, ensanglantées.
 
C’est ridicule, quel est l’intérêt de me faire du mal ? Je n’en sais rien, sur l’instant, c’est tout ce qui m’est venu à l’esprit. Parfois, quand l’affliction que l’on ressent est immense et qu’elle nous ronge, la justifier par une douleur externe et palpable soulage. On comprend pourquoi on souffre, ça devient physique.
 

***

En urgence et en amie dévouée qu’elle est, Lara est venue chez moi immédiatement après qu’elle est achevée son travail. Apportant le parfait kit de la personne qui a besoin d’être réconfortée : de la glace, des mouchoirs, de la guimauve et pleines d’autres cochonneries du genre. Le message que je lui ai envoyé était confus, débordant de désarroi… Dans la foulée, elle m’a rappelé morte d’inquiétude.

 
Allongées sur le canapé sa présence me fait du bien. Dans les moments difficiles, être entouré n’est jamais de trop. C’est ce qui nous permet de tenir le choc. Extrêmement douce, la tête posée sur ses genoux, ma meilleure amie prodigue des caresses reposantes sur mon crâne qui menace d’exploser. Je n’ai jamais connu pareil ébranlement que celui vécu il y a quelques heures : cette mère en qui j’avais toute confiance, m’a élevé dans un mensonge permanent. Comment peut-on agir si éhontément vis-à-vis de son enfant ?
 
— Je suis désolée, ma belle…
 
Elle tente de partager ma douleur comme elle le peut. Lara possède une empathie indéniable.
 
— Tu ne sais pas pourquoi elle a fait ça ? C’est grave, ce ne peut pas être sans raison.
 
Lara dit vrai. Effectivement, il doit y avoir une cause à tout ça, même si je ne suis pas sûre qu’elle justifie les actes de ma mère. 23 ans d’hypocrisie à me faire consulter des psys et inculper mon père qui n’avait rien fait de mal… Son excuse doit être balèze ! Avec tristesse, je repense à cette photo qu’Andrew conserve précieusement et j’en viens à éprouver de la compassion.
 
Je l’ai perçu si longtemps d’un mauvais œil. À présent, je le vois bien différemment. Il est victime des mots de ma mère, tout comme moi. Et pendant des années, il a souffert sa disparition. Cela me laisse à croire qu’il y a un os : s’il ne l’a jamais oublié, j’ai toujours eu l’intuition qu’il en été de même pour ma mère. Dans ce cas, pourquoi l’avoir quitté ?
 
— Aucune idée, je suis partie en furie et je n’avais pas le courage de l’écouter. Je préfère prendre mes distances pour le moment…
 
— Fais comme tu le sens ma belle, tu en as bien le droit. Tu es sous le choc, mais n’oublie pas qu’il faudra lui parler.
 
C’est dans mes plans. Mais je suis bien trop en colère pour témoigner de la clémence à son égard immédiatement. Malgré l’amour qu’elle me porte, elle m’a menti et je ne l’accepte pas.
 
— Qu’est-ce que tu vas faire à propos de ton père ?
 
Excellente question, elle me trotte dans la tête depuis plusieurs heures.
 
— Je n’en sais rien.
 
— Tu comptes lui dire la vérité ?
 
— Oui… Nan… Oui, mais pas tout de suite. J’ignore comment il réagira en l’apprenant et je ne veux pas prendre le risque tant que je ne me sens pas prête à encaisser sa réponse… J’ai vécu des années sans le voir, j’estime avoir le droit à un peu plus de temps avec lui avant que la réalité ne me rattrape.
 
— Je comprends, mais reste prudente.
 
Lara se fait toujours du souci pour moi. Elle sait à quel point ma situation peut être compliquée et douloureuse puisque ses propres parents sont séparés.
 
— Ça va aller pour travailler demain ? demande-t-elle quand une énième crise de pleurs vient me secouer les épaules.
 
Le boulot… je vais retrouver mon père, mais aussi est surtout Archibald. Il a encore tenté de me joindre aujourd’hui, il ne sera pas de charmante humeur quand je le reverrai…

King of IceWhere stories live. Discover now