Chapitre 21

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Coucou toi ! Avant de commencer ce chapitre, je t'invite à aller jeter un coup d'œil à mon nouveau roman : Aveuglément. Mafia, amour, handicap, suspens, guerre seront au rendez-vous !

Je ne t'embête pas plus, bonne lecture ! ;)

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J’ignore pourquoi je suis venue ici. Une fois le mal de tête un peu apaisé par deux aspirines, une bonne quantité d’eau et de la nourriture, l’ennui s’est emparé de moi. Le tracas également… Je ne savais pas quoi faire et au vu de mon téléphone qui vibrait plus que mon sextoy, cela ne me disait rien qui vaille. Tout venait d’Archibald, et en cette fin d’après-midi, une dizaine d’appels et tout autant de messages de mon colosse, j’ai décidé de sortir de chez moi pour prendre l’air. Le remords me taraudait.
 
J’ai délaissé sans la moindre once de doute, mon portable derrière moi. Soulagée de ne plus être avec ce petit objet électronique qui ne faisait que me remémorer l’homme que j’ai abandonné. Je sais que ce n’est pas très glorieux ou courageux de ma part, et je parle tout aussi bien de ma fuite de ce matin que de l’ignorance éhontée de mon cellulaire, mais je n’avais pas l’audace d’agir autrement. Je me fais du mauvais sang, j’ai besoin d’être seule. Il faut que je réfléchisse à tête reposée.
 
Bilan : ma coccinelle m’a menée vers la patinoire. J’y serai tranquille. Grâce à mon badge, j’entre sans difficulté et me dirige vers la piste où les Tigers ont connu la victoire. L’idée d’aller glisser un peu ne me vient même pas à l’esprit. Malgré des progrès significatifs, le moindre incident pourrait me faire rendre mes tripes. Si ma tête ne me martyrise plus, je n’en dirais pas autant de mon estomac. À tout instant, je crains de vomir, manger a déjà été un véritable parcours du combattant tant je me sentais fébrile.
 
Quelle n’est pas ma surprise de voir quelqu’un sur la glace ! À la pensée que l’homme puisse être d’Archibald, je frémis. Cependant, la silhouette est bien différente, plus fine, il s’agit d’Andrew. Il arrive en seconde place des personnes que je souhaitais éviter… C’est absurde, comment esquiver son patron ?
 
Stressée, j’approche. Est-il déjà au courant ? Il a le pouvoir de me renvoyer en un rien de temps pour faute professionnelle et il ne prendra pas de gants… Enfin Julia, comment veux-tu qu’il le sache ? Par l’opération du Saint-Esprit ? La seule qui puisse me trahir, c’est moi-même. Mon père est un homme perspicace, s’il sent que j’ai quelque chose à cacher, il creusera et trouvera, c’est dans l’ordre des choses. Lorsqu’il passe près de moi et s’arrête en pilant avec l’agilité d’un confirmé, plus moyen de m’éclipser.
 
— Que fais-tu là, petite ?
 
Toujours cette façon… paternelle de s’adresser à moi. Ça va aller, je peux le faire. Il faut que je me fasse confiance, ça ne me fera pas de mal.
 
— Je ne sais pas trop, je voulais m’aérer l’esprit. Et vous ?
 
À chaque fois que je le vois, il est ici. Cette patinoire est son temple. Il me semble infiniment seul. Sa vie se résume au hockey, pas de familles, quelques amis peu présents. Je me remémore notre discussion de la veille : il n’a eu personne avec qui fêter la victoire, en place de quoi il a passé une soirée à potasser. Au lieu d’éprouver de la rancœur ou de la satisfaction à la perceptive de cette isolation, je me sens triste vis-à-vis de lui. Je ne suis pas indifférente au confinement qui berce son existence, mon empathie se manifeste.
 
Il aurait une famille s’il n’avait pas abandonné ma mère… À quoi bon remuer le couteau dans la plaie ? Les choses sont telles quelles sont, et ce qui se tient en face de moi, c’est un homme qui vieillit avec pour seule compagnie son travail et lui-même.
 
— C’est un peu pareil, j’aime venir patiner les lendemains de victoire. Ça me rappelle ma jeunesse.
 
Sa jeunesse, bingo ! C’est un filon sur lequel je pourrais rebondir !
 
— J’ai entendu dire que, vous étiez plutôt bon dans le passé… j’enchaîne faussement innocente.
 
Il sourit, amusé de mon euphémisme.
 
— Oui, j’étais plutôt bon ; réplique-t-il en accentuant le « plutôt ».
 
— Vous aviez l’habitude de patiner les lendemains de match ?
 
Il se remet à avancer avec lenteur, s’adaptant pour que je puisse le suivre à pied. Plus le temps passe, plus je le sens ouvert à la conversation. C’est étrange, ou logique. Sa confiance se développe, ses barrières s’abaissent et ma culpabilité va crescendo. Je suis monstrueuse.
 
— Oui, toujours. Je me levais à l’aurore et retournais sur la piste pour travailler tout ce qui avait cloché dans mon jeu de la veille.
 
Il y a des mérites que je ne puis lui retirer : son ardeur et sa détermination. Loin d’être feignant, il s’est décarcassé pour sa renommée.
 
— Vous ne faisiez pas la fête ?
 
— Très rarement. Je considérais que nous avions gagné une bataille, mais pas la guerre. Ce n’était pas la même époque.
 
— Comment cela ?
 
— Eh bien, avec le recul, je trouve qu’il est bon que mes gars fassent s’amusent de temps à autre, ça leur permet de décompresser un peu. Avant la donne était différente. Les joueurs n’étaient pas aussi bien payés et pour vivre du hockey et mener une vie confortable, il fallait faire partie des meilleurs. La notion de relâchement était beaucoup moins présente qu’aujourd’hui.
 
Je vois, tout est bien plus aisé que par le passé où le sport n’était pas considéré comme un milieu professionnel à part entière. C’était une distraction, un amusement… De nos jours, c’est un secteur qui brasse des milliards et les athlètes de haut niveau n’ont pas à souffrir de salaires médiocres. Élevés au rang des chanteurs et des acteurs, ce sont de vraies stars qui peuvent se permettre toutes les excentricités.
 
— Et donc… Vous chassiez les distractions de votre vie ?
 
Sous-entendu subtil par lequel je veux qu’il me parle de ma mère. Comprendra-t-il ? Osera-t-il seulement s’aventurer sur un sujet si « personnel » ? Il m’enverra peut-être paître comme hier… Il n’est pas du genre à s’épancher, il n’aime pas ça. Je m’en fiche, parfois il faut savoir forcer le destin. En bref, tentons le tout pour le tout.
 
— Entre autres.
 
C’est assez vague, je ne m’attendais pas à de grandes révélations dans les moindres détails. Il faut rester lucide ! J’espérais toutefois quelque chose d’un peu plus poussé, suffisamment pour me mettre sur une piste.
 
— Entre autres ?
 
Il me lance un coup d’œil.
 
— Tu es bien bavarde, petite.
 
Cet homme est plus fermé qu’une huître. Conséquence de cette vie de loup solitaire ? Ou mascarade pour cacher une blessure plus profonde ?
 
— Je suis juste curieuse.
 
— C’est un vilain défaut.
 
La réplique est tranchante, nette comme l’incision d’un chirurgien de renom. Je ne pense pas en tirer quoi que ce soit.
 
— Parfois, les « distractions » comme tu les appelles, s’en allaient d’elles-mêmes.
 
— Que voulez-vous dire ?
 
Un sourire las, mais étrangement bienveillant arbore son visage ?
 
— Tu n’as pas l’intention de lâcher, n’est-ce pas ?
 
Je secoue la tête, marquant une négation. Il donne du leste. Peut-être est-il émotionnellement affaibli et plus accessible en ce lendemain de victoire. Je compte bien en profiter. En bouche, j’ai l’amère sensation d’être un vautour.
 
— La célébrité — que ce soit parce que l’on est chanteur, acteur, politicien ou encore sportif — donne à nos vies une cadence si rapide qu’il arrive que ceux qui la partagent avec nous quittent le navire pour des eaux plus calmes. Quand ça se produit, on ne laisse plus de place aux sentiments.
 
C’est un point de vue tellement triste… S’il en fait une généraliste, il est évident qu’il parle d’expérience. J’ai des difficultés à assimiler. Ceux qui partagent son quotidien le quittent. J’ai peur de comprendre… et en même temps ça me semble impensable. Il ne peut pas faire allusion à ma mère, elle ne m’aurait pas menti de la sorte.
 
— Vu comme vous en parlez, ça sent le vécu…
 
Il ne dit rien, et ce silence est plus explicite que tous les discours possibles. Il a souffert d’une pareille situation, ça explique pourquoi il est sur la défensive, pourquoi il se mure dans cet état de vie. Voilà pourquoi il se retranche dans le travail. Calme-toi Julia… Ta mère n’aurait pas pu te mentir toutes ces années, ça ne lui ressemble pas. Il parle probablement d’une autre.
 
— Une femme ?
 
Ces mots sortent de ma bouche instinctivement. Je dois savoir. Suspicieux, ses sourcils se froncent.
 
— Ne me regardez pas comme ça, dis-je en adoptant un ton faussement léger. J’ai vu la photo sur votre bureau !
 
Il soupire, désespéré de mon obstination.
 
— Tu es bien trop curieuse petite, ça te portera préjudice si tu ne prends pas garde.
 
Je ne sais pas trop si c’est un avertissement ou un conseil. Une chose est sûre, il n’aime pas la tournure qu’a prise la conversation.
 
— Peu importe, poursuit-il. C’est du passé, elle est partie du jour en lendemain et je ne l’ai jamais retrouvé.
 
Il continue d’avancer, moi je reste figée. C’est impossible. Comment ? Comment ? Aucune pensée cohérente ne sort de ma tête je suis paumée, terrifiée… Ma mère m’a trahi ! Attends Julia ! Pourquoi le croire lui plutôt que celle qui t’a élevé et qui s’est saignée pour toi toutes ces années ? Parce qu’il n’aurait aucun intérêt de mentir, il ne sait pas qui je suis et que je connais la femme de la photographie ! Tout ce que j’ai vu de lui me pousse à conjecturer qu’il dit vrai ! Il sort toujours un peu plus de la case du lâche qui abandonne sa petite-amie et son futur enfant. En outre, ce n’est pas pour rien que ma suspicion augmente depuis quelques jours. Se pourrait-il que ce que vient de m’expliquer le coach soit la vérité ? Elle est partie sans lui révéler sa grossesse ? Mais enfin, pourquoi ? Ça n’a aucun sens !
 
Tremblante, un pincement extrême m’enserre la poitrine et me force à me recroqueviller. Une exclamation de douleur m’échappe et je peine à retrouver mon souffle. Je n’y arrive pas ! Qu’est-ce qui se passe ? En un rien de temps, je suis au sol et la voix alarmée paraît lointaine. Je suis terrifiée, je ne parviens plus à respirer, c’est terrible ! L’air stocké dans mes poumons refuse de sortir, de se renouveler. Certains de mes membres s’engourdissent en répercussion au manque d’oxygène, ma gorge me brûle, tout comme mes yeux qui s’humidifient, je suis morte de trouille ! J’ai l’impression que plus jamais je ne réussirais à reprendre mon souffle, que je vais mourir. C’est la pire des sensations : je me sens partir jusqu’à ce que tout devienne noir. Je viens de perdre connaissance.

King of IceWhere stories live. Discover now