Chapitre 34

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Coucou toi ! Avant de commencer ce chapitre, je t'invite à aller jeter un coup d'œil à mon nouveau roman : Aveuglément. Mafia, amour, handicap, suspens, guerre seront au rendez-vous !

Je ne t'embête pas plus, bonne lecture ! ;)

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Nous sommes le jour J, celui qui se prépare fort en rebondissements. Tout d’abord, il faut savoir que j’ai bien reçu un message du coach durant le week-end : « Dans mon bureau, lundi, à la première heure ». Traduction : je vais te virer en beauté. Fantastique ! La détresse que je ressens depuis lors est indescriptible. Lui va m’annoncer que je suis renvoyée ; moi, que je suis sa fille ! Le problème est indéniable, évident.
 
À bord, de ma vieille Coccinelle, garée sur le funeste parking, je bloque sur le message de mon père : huit petits mots et quelques dizaines de lettres — oui, j’ai compté — qui me bouleversent. Archibald aussi m’a envoyé un message. Respectueux de ma volonté, il s’est retenu tout le week-end avant de me relancer ce matin : « comment tu vas ? ». Et je n’ai pas répondu, je n’en ai pas trouvé la force. Après mon appel avec ma mère, je suis passé en silence radio.
 
Avec appréhension, j’ouvre la portière. Je me souviens de ce jour où tout a commencé. Là, à cette même place j’ai cogité de longues minutes avant d’enfin me décider à quitter le fauteuil usé du conducteur. Sauf qu’aujourd’hui, la jeep jaune de Percy ne manque pas de me faucher. Inspirant un grand bol d’air, je me mets en marche, espérant inhaler du courage au passage. Je ne rentre pas immédiatement, je prends mon temps en commençant par contempler ce majestueux édifice que je n’ai jamais apprécié à sa juste valeur.
 
Quand je pousse la porte d’entrée, mon attention se porte sur le moindre détail. J’étais si absorbée par mon objectif que le reste est passé à la trappe. Je vais mémoriser ce qui se présente à mon regard, je ferai les choses correctement. C’est peut-être la dernière fois que je viens dans cet endroit.
 
En abordant le long dédale de couloirs, bien que j’en connaisse désormais le chemin sur le bout des doigts, je ne vais pas directement où m’attend l’entraîneur. Comme au premier jour, je prends plaisir à m’égarer. Ridicule ? Peut-être, seulement je n’ai plus rien à perdre. Je désire simplement profiter encore un peu de cette innocence, de mon statut d’assistante. Il va prendre fin, mais je le suis toujours.
 
Mes pas me portent naturellement au bureau. Sur ma route, j’ai croisé quelques joueurs matinaux que j’ai brièvement salués, heureuse de les voir. Ils m’ont donné l’impression que tout était normal. Quand j’aurai franchi cette porte, plus rien ne le sera. Et je n’ai pas le choix : l’on ne peut passer sa vie à fuir. Décidée, je frappe contre le battant. Deux coups fermes et synchrones auxquels on répond par un puissant « entrez ». Mon cœur tambourine à toute allure. Ça y est : le dénouement.
 
À peine m’aperçoit-il que son regard est sévère, froid. Seigneur ! C’est tellement plus difficile que tout ce que j’avais prévu ! Cela faisait bien longtemps qu’il ne m’avait pas dédié une pareille expression… Installé derrière son grand bureau, les mains soutenant sa tête il se terre dans le mutisme. Je suis profondément mal à l’aise. Pire que tout, je perçois un filet de déception dans son regard. Un poignard dans le cœur serait mon douloureux. Je me suis attachée à lui.
 
— Asseyez-vous, m’enjoint-il.
 
Le vouvoiement me détruit. Symbole de son éloignement, il semble dire « vous me dégoûtez ». Sans piper mot, il fouille dans son bureau avant d’en sortir une grande enveloppe kraft. J’avoue ne pas comprendre.
 
— Tenez, dit-il en me présentant l’enveloppe. Vous trouverez tous les papiers en rapport avec votre renvoi ainsi que vos fiches de paie. Bonne continuation.
 
Je suis stupéfaite, ébaubie. C’est… c’est tout ? La plus parfaite indifférence. Voilà tout ce à quoi j’ai droit ? En fait, j’aurais tout préféré à ça. Des cris, de la colère, de la tristesse… J’en sais putain de rien ! Mais quoi que ce soit qui me laisse imaginer que je n’ai pas été une simple assistante parmi tant d’autres ! Que lui aussi s’est attaché à moi ! Je ne peux me taire, tout cela est loin de me convenir.
 
— C’est tout ?
 
Il lève le nez de sa paperasse et me regarde, comme importuné que je sois encore là.
 
— Qu’est-ce que vous vouliez de plus ?
 
— Je te connais honnête Andrew, je veux le fond de ta pensée ?
 
— Vous me tutoyez maintenant ? demande-t-il en haussant un sourcil.
 
Effrontée, je secoue l’enveloppe.
 
— Plus de contrat, plus de règles. Je fais ce qui me plaît.
 
Nous nous confrontons du regard en chien de faïence. C’est à qui flanchera le premier. Il prend une grande inspiration, comme épuisé.
 
— Si tu veux te savoir, je pensais que nous ferions un bout de chemin ensemble, petite. Tu m’as déçu.
 
Ça fait mal.
 
— Je ne voulais pas te décevoir, c’était la dernière chose que je désirais. Il faut me croire.
 
— Tu dis cela et au final, tu étais comme mes précédentes secrétaires.
 
Très mal.
 
— C’est faux, elles étaient des admiratrices, elles venaient pour les joueurs. Moi, je suis malheureusement tombée amoureuse d’Archibald. Je n’ai rien pu contrôler. Tu devrais le comprendre, toi qui aimes une femme depuis plus de 20 ans ! Je conclus en pointant du doigt le cadre qui me tourne le dos.
 
Suspicieux, il se lève et fronce les sourcils. Je l’ai piqué au vif.
 
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
 
Il ne me fait pas confiance. Je présume que très peu de personnes sont au courant de cette histoire. Je suis persuadée que mes grands-parents paternels se sont fait une joie d’étouffer l’affaire. Enfin, « grands-parents » est un terme trop valorisant pour que je le définisse de la sorte.
 
— Et Helena Mickaelson, étudiante en littérature qui t’a quitté avant de disparaître dans la nature 24 ans plus tôt. Ça ne te revient toujours pas ?
 
Cette fois blême, il retombe net dans son fauteuil. Il me dévisage, la bouche entrouverte, en proie à un grand doute. Il n’est pas aisé de le désarçonner de la sorte.
 
— Vous êtes qui ? Une journaliste ?
 
Un petit rire de dédain franchit mes lèvres.
 
— Dieu m’en garde, je ne suis pas l’un de ces rapaces fouineurs. Si je suis venue ici, ce n’est pas pour courir après les joueurs, mais après mon père biologique. Toi.
 
Cette fois, il est transparent. Si je ne fais rien, je crains qu’il ne s’évanouisse. Me dirigeant vers son distributeur d’eau, j’emplis un gobelet et y déverse un peu de sucre. Je lui présente le breuvage qu’il attrape, muet comme une carpe. Complètement retourné.
 
— Vous dites être… Tu dis être…
 
— Ta fille, je conclus les larmes aux yeux en voyant sa difficulté.
 
Je le lui ai dit, enfin ! Après tant d’hésitations, de péripéties de peurs… Je lui ai fait le plus gros aveu de mon existence.
 
— Je ne vous crois pas, ce n’est pas possible.
 
Sa voix semble celle d’un spectre : lointaine, hantée par les démons du passé.
 
— Je me doutais que tu réagirais ainsi. Pourtant, quand elle t’a quitté elle était enceinte de toi. Mais ce n’est pas à moi de te parler de tout ça. Si tu ne me crois pas, tu n’as qu’à te rendre à cette adresse ; dis-je en extirpant de mon jeans un bout ce papier. Elle t’expliquera tout, elle attend. Mais s’il te plaît, ne sois pas trop dur avec elle, tu n’imagines pas ce par quoi elle est passée.
 
Dans un état second, il fixe la note comme s’il s’agissait d’une grenade dégoupillée. Je n’obtiendrai rien d’autre de lui, il faut qu’il digère et accepte ce qu’il vient d’entendre. Aller voir ma mère l’aidera à tout clarifier, mais c’est leur histoire, je n’ai pas à interférer. Je me lève.
 
— Ah ! Une dernière chose : ces horribles photos que tu as reçues de Rony. Il voulait les utiliser pour faire du chantage à Archibald et prendre son rôle de capitaine. Je n’ai pas marché et c’est pour ça qu’il te les a envoyées. Pour me punir. Ce type est franchement néfaste pour le groupe !
 
— Archibald n’aurait jamais abandonné son poste, il y tient trop !
 
Il l’aurait fait pour moi. Mon cœur rate un battement.
 
— Pourtant c’est moi qui l’en ai empêchée.
 
Avec une fausse assurance, j’ouvre la porte.
 
— Sincèrement, ce fut une surprise d’apprendre que je suis ta fille, et en fin de compte je ne regrette pas. Tu es un type bien… Papa.
 
Sur ces derniers mots, je ferme l’huis et à l’extérieur, mes jambes en coton me lâchent, je flanche. Tout ce que j’ai contenu ressort et me tire des perles salées des yeux. Papa, je l’ai appelé papa. Pour la première fois de ma vie. Je ne sais pas ce qui m’a pris. C’était une impulsion, je voulais voir ce que ça faisait. Maintenant, mon cœur est infiniment plus léger, tranquille. Je ne suis plus l’assistante, mais la fille. Toutes ces années de détresses, de peurs d’incertitudes pour arriver à ce jour où j’ai pu me permettre de dire Papa à cet homme qui est mon créateur. Seule une ombre demeure au tableau et elle est colossale : Archibald.

King of IceTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang