Chapitre 2 : Rencontre avec la mort

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Ayden, allongé contre son bureau, soupira une énième fois, laissant tomber son parchemin au sol et rangeant sa plume. L'esprit maussade et épris d'un sentiment soudain de fatigue, il n'entendit pas le coup à sa porte et ne se retourna qu'en voyant un filet de lumière éclairer le mur devant lui. Sardas lui sourit dans l'encadrement de la porte, balayant la chambre des yeux avec de petits yeux amusés.

— C'est pas gratuit le papier, tu sais.

Ayden sourit maigrement à la remarque, baissant les yeux vers le sol juché de lettres inachevées et noires de griffonnages.

— Désolé... je me disais que pap- que mon père serait ravi d'apprendre que j'ai eu ma première expérience de soins, mais... (Il refit face à son bureau, la tête nichée dans ses bras croisés :) J'y arrive pas.

Il resta un moment dans le silence, le cœur de plus en plus serré et douloureux en se rappelant ce qu'il s'était passé cet après-midi. Il crut un instant que son maître était reparti pour le laisser se concentrer, mais à la place, une main se posa délicatement sur son épaule.

— Ça te tracasse encore, c'est ça?

Ayden sentit sa lèvre et ses épaules trembler, alors il décida de simplement hocher la tête. Ça ne serait pas digne d'un médecin de fondre à larmes après ses tous premiers soins. La main sur son épaule se mit alors à frotter lentement son dos, apaisant ses muscles tendus par l'émotion.

— Tu as fait ce que tu pouvais et tu as très bien joué ton rôle de médecin. Maintenant, on ne peut qu'espérer pour ces soldats : il y a des blessures que même nous ne pouvons soigner.

— Justement, hoqueta Ayden, les yeux mi-clos pour ne pas que les larmes ne perlent de ses yeux. C'est insupportable. Devoir regarder un homme rendu méconnaissable dans les yeux sans pouvoir rien lui promettre, je n'y arrive pas. Ces soldats avaient de l'espoir pour moi, ils me demandaient si je pouvais les sauver. Et j'ai rien pu leur dire, je n'ai pas osé. J'ai pas osé leur dire qu'ils ne survivraient peut-être pas et que même si c'était le cas, leur famille ne les reconnaîtrait même plus...

Il s'enfouit plus profondément dans ses bras avec un soupir tremblant. Jamais il ne pourrait devenir médecin comme Sardas, il en était persuadé, maintenant. C'était beaucoup trop déchirant de voir les gens souffrir alors qu'il était censé les soulager, de voir des gens faire confiance à ses compétences alors qu'il ne croyait même pas en lui. L'idée de devoir porter cette responsabilité pour le restant de ses jours en gardant un sourire sempiternel le terrifiait au plus haut point.

Sardas ne rajouta rien, serrant doucement son épaule pour rappeler qu'il était toujours là. Ne parvenant plus à contenir sa peine, Ayden serra les poings et laissa une dernière pensée s'échapper de ses lèvres.

— Pourquoi les dragons sont-ils si cruels avec nous?

Le vieil homme dut être pris de court par la question, car il mit un moment à répondre :

— Nul ne le sait vraiment. C'est ainsi, c'est dans leur nature : ils dévorent ce qui peut être dévoré, volent ce qui peut être volé et tuent ce qui peut être tué. Ce sont des animaux, après tout. Ils ont perdu âme et conscience suite à l'Ère du Chaos et seules les âmes pures des hommes peuvent satisfaire leur faim insatiable.

Ayden n'attendait pas cette réponse-là. Il la connaissait déjà, celle-ci. Tout le monde la connaissait. Confus, il baissa les yeux vers ses avant-bras, dissimulés par les amples manches de son vêtement, et il y passa distraitement sa main, dévoilant en partie les bandages enroulés autour de ses poignets. Si les dragons étaient si cruels, pourquoi lui n'était-il pas mort à l'heure qu'il était...?

Le Vœu du Dragon (LES ÉVEILLÉS - I)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant