Chapitre 36 : Attaque

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 Aujourd'hui, Sÿervik et moi étions partis explorer les limites les plus lointaines de notre territoire. Elle le connaissait par cœur, bien sûr, mais moi non, et la dragonne avait fait de son devoir personnel de m'apprendre tout ce que j'ignorais, alors nous sommes partis à l'aube. Sur la route, elle m'apprit comment elle délimitait ses zones de chasse, en se grattant contre les troncs d'arbre. Elle m'expliqua aussi qu'elle avait trois territoires différents en fonction des saisons et qu'elle alternait régulièrement entre les trois pour éviter l'épuisement des troupeaux, même si l'effort était conséquent, car les gros prédateurs s'y introduisaient assez souvent pour voler ses proies. J'écoutai attentivement, fasciné par chaque nouvelle découverte du mode de vie de mon espèce et, dévoré par un élan de curiosité insatiable, posai de nouvelles questions en réponse, inlassablement.

Mes interrogations incessantes eurent vite fait de transformer ma gorge en vieux parchemin. Néanmoins, j'avais encore de l'énergie à revendre, et alors que nous grimpions la pente d'une énorme montagne à l'extrémité ouest du territoire de Sÿervik, je continuai à la questionner :

— Sÿervik crache du feu?

— Pas vraiment.

— Pourquoi?

La dragonne semblait commencer à être lassée de mes questions : sa queue battait le sol et les membranes le long de son échine tremblèrent quand elle soupira. Je reculai d'un pas quand elle se pencha soudainement en avant, prise d'un haut-le-cœur. Les muscles de son cou se contractèrent brusquement et un mince filet de fluide fut projeté en ligne droite hors de sa gorge pour atterrir sur un rocher sombre. Mes narines se plissèrent instinctivement en sentant l'odeur acide du liquide verdâtre et visqueux.

— Je ne produis pas assez de cette bile à feu pour faire de grandes flammes. Ça demande beaucoup d'efforts et de nourriture pour en produire en grandes quantités. Je la garde plutôt pour marquer les zones éloignées de mon territoire.

— Oh... mais ça pas du feu.

— La bile à feu est le combustible. Tous les dragons ont un silex à l'arrière du palais. Il suffit de faire une étincelle avec tout en crachant la bile...

Sÿervik ouvrit de nouveau la gueule. Alors qu'elle se préparait à cracher une nouvelle gerbe de fluide, sa langue et sa gorge se contractèrent dans un mouvement étrange, produisant un bruit d'entrechoquement sec. Assis à côté d'elle, j'eus tout juste le temps de voir les étincelles jaillir de sa bouche avant qu'une vague de chaleur ne me force à reculer de nouveau. Le fluide hors de sa gueule avait pris feu et atterrit en fines gouttelettes brûlantes sur la roche. La petite flaque que la dragonne avait craché précédemment s'embrasa immédiatement au contact d'une des gouttes incandescentes. Je n'avais pas besoin de m'approcher pour sentir la chaleur me lécher la peau et voir les marques noires que laissaient les petites flammes verdâtres sur la pierre.

— ... Et les flammes apparaissent.

— Oh...

Le silence revint un instant, perturbé par le sifflement du vent et des oiseaux migrateurs, qui profitaient de la douce chaleur de l'été nordique pour voleter à tout-vas. Et je pourrais voler comme eux, un jour...

L'idée me gonfla le cœur, bien que je ne savais pas encore à quoi m'attendre. Serait-ce dangereux? Effrayant? Exaltant? Quand saurais-je que c'est le moment? Je l'ignorai : Sÿervik restait étrangement vague sur l'expérience du vol, et ça me frustrait. Quand pourrais-je déployer mes ailes comme elle et devenir maître des quatre éléments, comme tous les autres dragons?

— Et pourquoi tu voles pas pour monter la montagne?, demandai-je, curieux. Orthal pouvoir grimper sur ton dos.

— Parce que je ne le peux pas.

Le Vœu du Dragon (LES ÉVEILLÉS - I)Where stories live. Discover now