Chapitre 17 :

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Je défroisse les feuilles et je relis les paroles de la chanson « Toi et moi ». Je me demande parfois comment j'ai réussi à écrire une belle et merveilleuse chanson d'amour. Sur Eva et sur moi. À présent, je n'y arrive plus. Celle que j'ai écrite et que je chante presque tous les soirs est triste et sans espoir. C'est normal, après tout. Je raconte ce qu'il s'est passé. Je raconte ma douleur et mon chagrin. Je raconte mon désespoir. Eva ne sait pas que je l'ai terminé. Elle ne sait pas que ma chanson « Mais où sont nos jours heureux ? » a vu le jour. Elle ne sait pas ce qu'elle raconte et qu'elle lui est dédiée. J'aimerais, un jour, si je la revoyais, lui dire. Lui dire comment elle m'a fait souffrir, comment elle a détruit mon cœur. Aujourd'hui, il est peut-être possible.
 
Je suis assis sur une chaise et je bois une bière. Ce bar a recruté des musiciens qui jouent de la musique pop. J'ai un peu la tête qui tourne. Je relis les paroles de la chanson que j'ai écrite. Comme j'aimerais bien, peut-être, la rechanter à nouveau. Tout d'un coup, la porte s'ouvre et je redresse la tête. Eva vient de rentrer et quand elle m'aperçoit, je la vois soupirer. Elle s'assoit en face de moi et commande au serveur une bière comme moi. Elle pose son béret sur les genoux.
 
— Qu'est-ce que tu fais là ? demande-t-elle.
 
— J'ai réussi à te retrouver, je réponds.
 
Eva s'affale sur sa chaise et soupire.
 
— Comment ?
 
— J'ai fait tous les bars – enfin ceux qui restaient et qui étaient ouverts – et j'ai su que tu allais venir dans celui-là.
 
Eva se mord la lèvre.
 
— Comment ? répète-t-elle.
 
Je lui fais un signe de tête vers les musiciens.
 
— Je te connais, Eva. Je sais que c'est un de tes sons préférés.
 
Elle sourit faiblement. Je jette un œil aux paroles que je tiens dans mes mains.
 
— C'était toi et moi pour toujours, je murmure.
 
Elle me regarde et fronce les sourcils.
 
— Qu'est-ce que c'est ? demande-t-elle.
  Je ne sais pas quoi répondre. Je ne sais vraiment plus comment me comporter avec elle. Comment est-ce que je faisais avant ?
 
— Liam, qu'est-ce que c'est ? insiste Eva.
 
Mais je ne réponds pas alors elle me prend les feuilles des mains et son visage se fige quand elle voit ce que c'est.
 
— Tu l'as gardé, murmure-t-elle.
 
J'acquiesce.
 
— Évidemment, c'était notre première chanson ensemble, dis-je.
 
Eva plie les feuilles et les pose sur la table.
 
— Est-ce que tu joues toujours ?
 
Je ris doucement.
 
— Je suis bien obligé sinon je ne vis plus.
 
Heureusement que j'ai rencontré Dylan, même si notre amitié commence à être en tension, je suis soulagé. Après que le bar dans lequel j'étais avec Eva ne ferme à cause d'un manque de recettes, Dylan était là pour me sauver. Heureusement qu'il était là. Parfois, Antoine me manque, l'autre gérant. Il avait accueilli Eva avec toute gentillesse et il nous avait encouragé et soutenu pendant toute l'année. Même quand les jours étaient difficiles et que le bar avait fait faillite, Antoine m'avait rassuré et disait que je pouvais tout faire. Il disait que je trouverais un autre boulot, que j'étais doué. J'étais confiant avant. À présent, avec Dylan qui dit que je ne serai pas capable de trouver un autre endroit pour travailler et que j'ai besoin de lui me fait douter sur moi-même. Suis-je trop faible pour changer ? Peut-être. Je n'arrivais même pas à me faire au départ d'Eva et je n'ai jamais réussi à tourner à page.
 
— Non, je voulais dire... par plaisir. Est-ce que tu joues toujours ? murmure Eva.
 
Je m'affale à mon tour sur ma chaise.
 
— Non, plus depuis que tu es partie.
 
Le visage d'Eva s'assombrit.
 
— Liam...
 
Je secoue la tête.

— Non, c'est vrai. Tu m'as manqué. Je n'ai pas arrêté de compter les jours depuis ton absence. En attendant que je te revois à nouveau, j'avoue.
 
Eva tortille une mèche de ses cheveux.
 
— Je suis là maintenant.
 
J'observe le bar bruyant. Ça ne la ressemble pas. Elle préfère la plage comme le rendez-vous que je lui avais organisé où nous avions mangé des pizzas et où nous nous étions baignés ou alors elle aime beaucoup les endroits calmes comme la place Montmartre, et le parc. Mais les bars, je l'ignorais. Seulement quand elle jouait avec moi.

— Je ne pensais pas que tu étais du genre à aller dans des bars, je lui fais remarquer.

— J'ai changé.

Se rappelle-t-elle le texte que nous avons récité et qu'elle a joué à Paris ? On dirait la même scène. Eva me regarde. Elle se souvient. Il y avait un baiser dans cette scène. Mais on ne l'avait pas fait. Comme j'aimerais l'embrasser maintenant.
 
— Est-ce que tu chantes encore ? je demande pour changer de sujet.
 
— Je n'ai plus le temps. L'apprentissage des scripts me prend du temps.
 
J'acquiesce. Pourquoi est-il difficile de se comporter comme avant ? Pourquoi est-ce que je n'arrive pas à être calme ? Peut-être parce que la femme que j'ai jamais aimé se tient devant moi. Et elle n'a pas l'air heureuse. Je n'arrive pas à ignorer sa douleur. Je le vois. Elle souffre et elle n'ose pas en parler.
 
— Eva, tu devrais continuer à chanter, dis-je.
 
— Je ne peux pas, déclare-t-elle d'un ton brusque.
 
Je suis surpris par son agressivité. Je voudrais tellement l'aider à retrouver le sourire mais même si moi, je n'y arrive pas, comment pourrais-je l'aider ? Je soupire et je reprends les feuilles laissées sur la table. Je prends une grande respiration et je commence à chanter, juste au moment où les musiciens ont fini de jouer. J'ai oublié le monde autour de moi et je ne vois plus qu'Eva.
 
— S'il te plaît, tais-toi... me supplie-t-elle.
 
Mais je ne l'écoute pas et je chante « Toi et moi ». Aussitôt, les clients se tournent vers notre table et Eva cherche à se cacher avec ses mains.
 
— « Car cet amour,
  Est étrange.
  Car tu es,
  Mon ange ».
 
Je fixe Eva qui me supplie du regard.
 
— Liam, arrête.
 
— Chante avec moi, dis-je.
 
Mais elle secoue la tête.
 
— Je ne veux pas...
 
Je me redresse et je ferme les yeux.
 
— « Mon amour,
  Toi et moi,
  C'est pour toujours.
  Tu seras mien.
  Tu seras mienne ».
 
Puis j'ouvre les yeux. Je demande à Eva de chanter avec moi. Pour nous. Pour rappeler les bons moments.
 
— « Restons ensemble,
  Si tu le veux.
  Restons soudés,
  Dans ces épreuves.
  Ne me laisse pas partir,
  Ne laisse pas la peur t'envahir,
  Car toi et moi,
  C'est pour toujours ».
 
Eva se mord la lèvre. Les clients commencent à applaudir et je les remercie. Eva, visiblement en colère se lève et je la rejoins dehors.
 
— Tu as vu, elle fonctionne encore ! je m'exclame.
 
Mais Eva ne sourit pas. Elle est au bord des larmes.
 
— Liam, pourquoi ? dit-elle d'une voix brisée.
 
Je m'apprête à dire quelque chose mais elle m'interrompt.
 
— Je sais qu'on devait rester soudés, j'ai compris. Ne rejette pas la faute sur moi, je t'en prie ! Écoute, tu ne t'es jamais dit que c'était de ta faute aussi ? Souviens-toi ce qu'il s'est passé. Peut-être que tu n'aurais pas dû me laisser partir. Peut-être que tu n'aurais pas dû laisser la peur t'envahir, déclare-t-elle.
 
Je ne réponds pas car au fond, je sais qu'elle a raison.
 
— Tu aurais pu me rattraper. Souviens-toi ce que disait la lettre.

L'art dans la peau - [Tome 4] La musique dans l'âmeKde žijí příběhy. Začni objevovat