Chapitre 5 - La carte et la lune

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Une secousse me tire de mon sommeil, je réalise que je me suis endormie contre la porte que j'ai martelée sans arrêt. Depuis mon hublot, j'aperçois la pleine lune qui brille presque trop intensément.

En bâillant, j'essuie ma joue marquée par le bois. Sur le pont, la frénésie a disparu. J'ignore s'ils sont allés se coucher ou s'ils sont tous avachis à même le sol à cause du rhum. Mes propres vêtements empestent. Je réajuste mon pourpoint en cuir et relève les manches évasées de ma chemise. Mes bottes, elles, couinent quand je me redresse.

Dans un geste de désespoir, je tente d'enclencher la poignée de porte. En vain. C'est bel et bien fermé à clef. Je cherche du regard un objet suffisamment fin pour tenter de crocheter la serrure.

Une lueur attire mon regard, je m'approche et me penche sur mes vêtements féminins pour retrouver l'épingle que j'avais sur la plage. Je me saisis de l'objet brillant et m'accroupis devant la serrure. Ça tourne dans le vide, j'entends des cliquetis, je ferme un œil comme si j'allais mieux distinguer ce qui se passe.

— Allez, ouvre-toi maudite porte, pesté-je en forçant.

Un bruit plus sourd résonne et dans un grincement à en hérisser tout le duvet de ma nuque, elle s'ouvre lentement. Je me précipite sur le pont, ne préférant pas m'attarder. Mon cœur rate un battement et je souffle de soulagement en apercevant la presqu'île à plusieurs dizaines de mètres à la nage. Je vois les lumières des auberges et perçois de temps à autre les râles des ivrognes qui en sortent. Nous nous sommes finalement amarrés en mer.

Je me précipite vers le pavois pour estimer à vue d'œil la distance entre la coque et le continent. Bien qu'épuisée, je pourrais puiser dans mes dernières forces pour nager.

Espérons juste qu'il n'y ait pas de requins ou d'autres créatures affamées. Et les formes qui se dessinent sous la surface noire d'encre ne me rassurent pas. C'est un véritable coupe-jarret !

Je frissonne de la tête aux pieds en repensant à ce marin au crâne de requin. Il fait peut-être la vigie, à m'attendre dans l'eau, comme si Elliott savait d'avance ce que j'allais faire.

Non, c'est impossible.

Il m'a enfermé à clef. Même s'il me pense maligne - et j'apprécie le compliment - il s'est contenté de m'emprisonner.

Je perds du temps à m'imaginer des scénarii catastrophes. Je devrais chercher une embarcation, une planche de bois pourrait suffire. J'investigue le bateau à la recherche d'un objet large et flottant, quand un cri atroce me surprend. Je bondis en arrière, le corps figé, et file me cacher derrière le grand mât. Mon cœur bat comme un cheval fou.

Un homme aux cheveux sombres apparaît contre la balustrade. Il tient à peine sur ses jambes tremblantes. Le dos de sa chemise est couvert de sueur.

Il pousse un énième cri avant de vomir par-dessus bord. Charmant. J'ai moi-même un haut-le-cœur.

Les rayons de la lune se dirigent vers lui. Des taches noires se dessinent à travers le vêtement trempé, comme de l'encre qui dégorge sur un mouchoir. Frissonnant telle une feuille, il retire son habit, se penchant en avant pour se maintenir sur les coudes.

J'écarquille les yeux en découvrant un tatouage recouvrir chaque centimètre de son dos. Je devine une immense carte qui scintille à la lumière de la lune. Je suis trop loin pour lire ce qu'il y a noté dessus, mais les inscriptions semblent se mouvoir. À moins que ce ne soit ses muscles qui se contractent quand il vomit pour la seconde fois.

À mesure que les nuages recouvrent l'astre dans le ciel, la marque à l'encre dans son dos se consume comme du papier en feu et il n'en reste plus rien.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeWhere stories live. Discover now