Chapitre 18 - Cœur impur, cœur brisé

78 12 0
                                    

Mes yeux fixent sans relâche la pleine lune. Elle est ronde, brillante et terriblement provocante. Dans son allure parfaite, elle scintille parmi ce tableau noir d'encre. Couchée dans la barque, je sens à peine la houle secouer notre embarcation. L'air ne me paraît ni chaud ni froid.

Le venin de Cysara s'écoule le long de ma joue, effleure mon lobe d'oreille et tache mes cheveux. Des larmes salées le rejoignent, coulent en cascade, elles me brûlent la rétine. Pourtant, je ne quitte pas du regard l'astre dans le ciel.

La lune semble se rapprocher, je lève faiblement mon bras au ciel. Je voudrais l'attraper, la serrer dans ma paume et sûrement la broyer. Toute cette perfection me débecte, elle glisse sur moi dans un frisson de dégoût.

J'aimerais hurler. Je me sens vide comme un coquillage abandonné par un bernard l'ermite qui n'en veut plus. Personne ne pose les yeux sur une gamine attristée.

Mon estomac se serre, je grince des dents à défaut de grogner plus fort. Je voulais simplement rentrer chez moi ou peut-être retrouver mon père. Son souvenir sur le quai du port commence à s'assombrir à son tour.

Non, non, non !

Cette fois-ci, un sanglot me tranche la gorge et mon cri résonne dans la nuit. Je sens à peine la main de Morgan se poser sur ma jambe. Un relent plus puissant me comprime la poitrine, je me redresse en position assise, d'un bond. Je vomis pour la énième fois par-dessus bord, un liquide épais et noir. Mon corps est secoué de spasmes, ma bouche brûle, mes doigts s'agrippent au rebord de la barque. On n'entend plus que mes gémissements dans le silence de la nuit.

Mon regard voilé s'attarde sur un objet brillant dans l'eau, loin dans les profondeurs. Il bouge vite, comme un poisson qui s'enfuit. Il y en a de plusieurs couleurs en réalité, roses, verts, violets.

Je crois entendre des rires, ils me réchauffent à peine le cœur. Les formes continuent de s'agiter dans l'eau, elles tournent en rond en dessous de nous.

Les cercles de couleurs créent un arc-en-ciel aquatique, harmonieux, hypnotisant, apaisant. Mon corps davantage penché en avant, la pointe de mes cheveux dans l'eau, je soulève mollement mon bras. Je voudrais les toucher.

Une rame en bois m'arrête dans mon élan, je manque de cogner mes doigts contre. Je dodeline de la tête, aussi vite que mes mouvements me le permettent. Morgan a cessé d'avancer et m'empêche de me courber.

— Ne fais pas attention à elles.

Je ne l'écoute pas. Un grondement sourd s'échappe de mes entrailles. Je refuse d'être la jeune femme docile qu'il aime mener en bateau. D'une main, je repousse son bâton et la plonge dans l'eau.

Les rires s'accentuent, me causant un sentiment mélancolique. Mon cœur se serre si fort que j'ai l'impression qu'une paume invisible est en train de le comprimer. Ce pourrait être celle de Morgan.

Les petits animaux brillants remontent en flèche vers moi. Je frôle la queue d'un ; elle est rugueuse et collante. Je voudrais la toucher, encore. Cette fois-ci, le Capitaine ne se contente pas de m'avertir, il me saisit le poignet, lâchant sa rame à la mer.

L'objet en bois s'éloigne, vogue sur les vagues et soudain, il est aspiré par le fond. Des gloussements résonnent à côté de nous. Puis la pagaie remonte à la surface, à moitié dévorée, entaillée par des coups de dents.

Mon regard passe de ce qu'il en reste à ma main encore mouillée.

— Reste tranquille.

Il a de la chance que mon corps soit pris de nausées à cet instant, parce que j'aurais volontiers plongé ma main une seconde fois pour le provoquer.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeDonde viven las historias. Descúbrelo ahora