Chapitre 32 - Le Festival de la Feuille

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 Les cris des enfants m'extirpent de mon sommeil. Je papillonne des yeux avant de reconnaître le Théâtre de la Brume dans lequel nous sommes arrivés hier. Morgan s'éveille à son tour. La nuit a été longue, les sifflements de balles n'ont jamais autant résonné autour de nous. J'avais peur et l'impression d'être au cœur d'un massacre.

— Comment tu te sens ? me questionne-t-il en plongeant son regard bleu roi dans le mien.

— C'est à toi qu'il faut demander ça.

Je rétorque, mon bras sous ma tête engourdi par le manque de circulation sanguine.

— Je commence à m'y faire.

Je rampe jusqu'à lui et déplace des mèches de cheveux rebelles derrière son oreille. Ma Marque d'Elmor frétille contre sa joue, ce qui le fait sourire.

— J'ai tellement de questions à te poser, murmuré-je.

Mon pouce trace un chemin le long de l'os de sa mâchoire, remonte à son nez et s'arrête sur son arc de cupidon.

— Rester dans l'ignorance, c'est parfois plus facile à vivre.

— Hors de question de continuer à te suivre, dans ce cas.

Je tente d'afficher mon regard le plus menaçant, j'espère ressembler à une lionne féroce, mais je pense que je suis plus proche du chaton innocent. Morgan soupire, se replace face à moi, un bras autour de ma taille.

Son souffle bouillant ricoche contre ma bouche et si je n'avais pas tous ces questionnements en tête, je me serais régalée d'embrassades matinales.

— Je suis maudit.

— Je le sais, ça.

Tout le monde associe ce terrible mot à mon fiancé, mais j'aimerais connaître la raison. Quelque chose me dit que sa véritable histoire n'a rien à voir avec le conte et Poséidon. Ce qui plane au-dessus de son crâne, comme une épée de Damoclès, est représentatif de ce monde, sournois, sombre et angoissant.

— Je subis chaque jour à l'aube, alors que le ciel est teinté de rouge sanglant aussi sombre que celui que j'ai fait couler pendant des années, les souffrances que j'ai causées. Poignard, fusil, pistolet. Mon corps n'est plus qu'un chiffon de douleur.

Ma main caresse sa joue et mon index forme des cercles irréguliers sur sa pommette.

— Qui t'a maudit ? demandé-je dans un murmure.

— Edolym. La sœur aînée de Célériel.

J'arque un sourcil, je ne devrais pas être surprise qu'il s'agisse d'une Sirène. J'ai vu ce dont elles étaient capables.

— Pourquoi ?

Morgan baisse le regard. C'est la première fois que je décèle de la honte dans ses yeux si envoûtants. J'attrape comme je peux son visage en coupe pour l'obliger à me faire face. Mon front contre le sien, je sens son souffle saccadé s'accélérer.

— Parce que j'ai assassiné son fiancé. L'amour est un terrible fardeau pour leur espèce. Et c'est moi qui le porte...

J'avoue ne pas tout saisir, mais je réalise que je viens d'ouvrir une faille dans le cœur du Capitaine, une plaie douloureuse qui ne cicatrise pas depuis cinq cents ans. J'aimerais raconter un mensonge, lui prouver qu'il n'est pas ainsi. Cependant, j'ignore tout de ce monde étrange.

— Merci, soufflé-je à la place.

Morgan se pince les lèvres. Malgré l'odeur persistante de rhum, je m'approche et l'embrasse tendrement. Il accepte volontiers le silence que je lui impose et répond à mon appel. Notre baiser est empli de désespoir, les mains du Capitaine s'agrippent à ma chevelure, ses dents mordent ma peau.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant