Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacrée

Chapitre 16 - Nuit noir d'encre

Mithphia est en ce monde l'endroit où je rêverai d'aller, mais aussi où ne jamais poser un pied. Ce continent, celui des Quatre Terres et Mers comme beaucoup aiment l'appeler, occupe le plan central de la carte que j'ai sous les yeux. Il est au cœur des océans, terre gigantesque coupée en croix par deux fleuves colossaux : Alvathi qui le traverse du Sud au Nord et Losthir d'est en ouest. En son cœur, le cyclone Fuve qui empêche les voyageurs de traverser l'endroit par la diagonale.

Les quatre territoires autour des eaux ont chacun des attributs atypiques, distincts l'un de l'autre. La terre du sud-est où nous nous dirigeons est figée dans la glace et la pénombre, l'hiver est constant sur Findar. De tout son flanc ouest, une chaîne de montagnes protège ses frontières du fief voisin. Le sanctuaire de la royauté, quant à lui, siège là où il fait toujours chaud, où le soleil brille presque continuellement. L'immense palais est dessiné au centre de Ralesfeu, presque aussi imposant que le massif montagneux couvert de neige.

Selon les dires d'Elliott, l'endroit se nomme comme la famille royale qui y réside depuis des milliers d'années. Les Ralesfeu sont appréciés de leur peuple et gouvernent d'une main de fer sans qu'aucun coup d'État n'éclate.

Je baille à m'en faire craquer la mâchoire. Ma bougie termine de se consumer, tamisant l'ambiance de ma cabine. Elliott m'a demandé d'apprendre la carte, au cas où nous devrions accoster en urgence.

Je crois que cela ne risque pas d'arriver. Surtout si tous les chasseurs de prime se sont lancés à ma poursuite et celle de Morgan. Ce dernier a carrément disparu de la circulation après avoir autorisé ses hommes à prendre une barque pour rejoindre la première auberge. Ils ne s'en sont pas fait prier, appréciant de boire goulûment des litres de rhum.

Il leur est interdit d'approcher les côtes de Mithphia, mais des dizaines de guinguettes attendent sur les presqu'îles les vagabonds dans leur genre. L'argent n'a pas d'odeur, qu'importe qu'il vienne de voleurs, tant qu'ils payent.

Un calme inquiétant pèse dans le bateau. Pour être exacte, je sens une électricité dans la nuque et mon ventre se creuse.

On toque à ma porte, je sursaute de mon fauteuil de fortune, manquant de faire tomber mon encrier. Nika et Elliott se présentent sur le seuil. Tous deux ont enfilé leurs manteaux et chapeaux.

— Toujours certaine de vouloir rester ici, petit colibri ?

— Plus que certaine.

Après avoir réfléchi à moult solutions pour me déguiser, j'ai préféré ne pas prendre le risque de me faire trancher la gorge ou pire... me retrouver de nouveau devant Gordra.

— Dire que tu aurais tenté de me suivre avant.

Je ris à peine à la remarque du Timonier, je crains d'être un peu perplexe quant à mon retour chez moi. D'autant plus que la carte ne mentionne aucunement mon monde. Celui des Ignorants.

— Je suis ici pour cinquante-sept ans non ?

— On peut dire ça. Nous partons trois heures grand maximum, tu n'oublies pas ce que je t'ai dit avant ?

De ne surtout pas suivre Morgan dans ses envies folles. Pourtant, mon cœur me dicte, ou plutôt me hurle d'aller le rejoindre quelque part.

— Je vais continuer de déchiffrer la carte.

Je mens d'une facilité déconcertante, mais cela semble convenir à Elliott, puisqu'il hoche la tête avant de fermer la porte derrière lui. Cette fois-ci, il ne prend pas la peine de sortir ses clefs.

J'étudie, assise sur mon siège inconfortable, un temps incertain. J'aurais pu échafauder un plan de fuite, mais le risque à prendre est trop élevé. À la place, je bascule dans ma chaise d'avant en arrière, en observant le plafond.