Chapitre 9 - La Nixe

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La taverne où nous nous rendons est creusée dans la falaise. Son toit et ses façades sont avalés par la roche. J'observe les lampes à huile osciller au-dessus de la porte. Partout autour de nous, les devantures des demeures en pierre s'illuminent. Des enfants affublés de cornes sur le sommet du crâne avancent en rythme, une bougie au creux des mains.

Elliott m'entraîne à l'intérieur, j'ai l'impression de m'immerger dans une grotte. Ici, il fait humide et frais. Les murs sont naturellement voûtés et des poutres se rencontrent, construites les unes sur les autres. Des chandelles se consument sur les tables en bois, occupées par des créatures joviales ou ivres.

Un groupe d'êtres à la peau recouverte d'écailles vert d'eau ricanent tout en jouant à un jeu de cartes. En nous en approchant, je remarque que les leurs ne ressemblent en rien à celles que je connais.

— Le Rotta, tout le monde sait y jouer ici, me glisse Elliott en m'indiquant une table dans un renfoncement.

Je ne me fais pas prier et vais rapidement m'asseoir sur une chaise inconfortable. Mon corps se tend à cause des courbatures, je tâte du bout des doigts ma marque dans la nuque. J'ai toujours l'impression de ressentir comme un coup de jus quand je l'effleure, et grimace.

— Tu finiras par t'y faire, m'informe le Timonier en s'affalant sur son siège.

Il fait signe à la tavernière d'une main et elle semble le comprendre.

— Facile à dire quand on a l'habitude, tout est nouveau pour moi.

— Et prêter serment à une inconnue l'est aussi pour moi.

— Tu ne l'as pas fait avec le Capitaine Krug ?

L'idée que tout ça sorte d'un livre pour enfants me surprend toujours autant.

— Notre accord dépasse la simple chasse-partie habituelle avec Morgan.

Je le questionne du regard, mais Elliott change de sujet :

— Tu dois être ravie d'avoir ma vie entre tes mains.

Son regard s'est assombri quand il a prononcé la fin de sa phrase. Je n'ai, contrairement à lui, pas l'impression de détenir quoique ce soit, et encore moins mon destin.

— Pas vraiment, non.

La tavernière, dans son tablier marron, s'amène et j'aperçois des cornes de bélier dans sa chevelure bouclée. Elle dépose devant nous deux chopes en acier d'une boisson moussante. Et lorsqu'elle s'éloigne, je m'attarde sur ses jambes, qui sont en réalité des pattes de chèvre !

— Ne fixe pas les gens comme ça.

— C'est une... ?

— Une Hasiomc, une femme mi-chamois.

— C'est étrange...

— Tout autant que toi avec ton visage de poupée, tes fins cheveux ternes ou tes grands yeux azur.

Je m'apprête à rétorquer, mais il m'indique mon verre devant moi.

— C'est malpoli de ne pas boire, petit colibri.

Je grogne pour moi-même et amène la boisson à mes lèvres. Le goût est infâme, on dirait un mélange de bière, d'alcool trop fort et de fer. Je tire la langue en plissant les yeux, ce qui fait sourire Elliott qui boit goulûment.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeWhere stories live. Discover now