Chapitre 21 - Le Blizzard de Dryta

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— Ne me dîtes pas que j'ai perdu cinq pièces d'or pour de l'eau de mer !

Lasmur secoue vigoureusement la fiole qu'il tient dans la main. Il vient d'en boire la moitié, il recommence, la recrachant aussitôt. Son visage de crocodile se défigure en une grimace alors qu'il tire sa langue complètement noire.

— Oh mon pauvre vieux ! Tu t'es fait avoir comme un marin d'eau douce.

Le rire d'Haes est communicatif, son acolyte le foudroie du regard et lui envoie le flacon au visage. Il se brise dès qu'il touche la peau rocailleuse du matelot.

— Qu'est-ce qu'elle t'a fait croire ? demande Buer, la besace contre son buste, pleine à craquer de couteaux, marteaux ou autres objets suspects.

— Que...

Lasmur nous dévisage un par un, puis tourne la tête vers l'horizon. Le ciel est couvert ce soir, on aperçoit à peine la lune. Le bateau tangue de temps en temps à cause de son poids, dû à toute la cargaison entre nous.

— Que j'allais devenir beau et fort !

J'éclate de rire en même temps que les autres hommes. Le marin reptilien n'en mène pas large quand il grogne pour nous sommer de nous taire. Il triture un bout de tissu qu'il a trouvé au sol de la barque. Lasmur porte une fourrure énorme sur le dos, son sang froid risque de cristalliser selon ses dires à Findar.

— Hors de question que cette mésaventure arrive aux oreilles des autres !

Nous rions encore, nos voix font écho dans le silence de la nuit. Nous regagnons le pont quelques minutes plus tard, je frotte mes mains entre elles, soufflant dessus pour les réchauffer.

— Je vais dormir comme un loir avec ces huiles essentielles, se moque Haes en voyant Lasmur sortir une nouvelle fiole de sa besace.

— La ferme Haes.

— Aucun de vous n'ira dormir.

Une voix sombre et familière résonne sur le pont, suivie d'un bruit métallique. Dans la pénombre, j'aperçois la silhouette s'avancer vers nous. Une odeur pestilentielle se dégage des seaux qui viennent d'être posés devant nous. Des têtes de poissons, les yeux et la gueule grand ouverte tombent à mes pieds.

— Pardonnez-nous, Capitaine, commence Buer.

Soudain, Morgan apparaît. Sa veste noire aux broderies d'or sur le dos, les cheveux coiffés en arrière, les mains dans le dos. Il dégage de lui une aura effrayante, la même que j'ai ressentie en le rencontrant lors de notre retour de Kitar.

— Il me semblait avoir été pourtant clair, vous deviez vous rendre immédiatement chez Lorfan.

Avec son pied, il joue avec le rebord d'un seau avant de renverser tout son contenu sur le pont. L'odeur me prend aux tripes et je retiens la nausée coincée au fond de ma gorge.

— Puisque vous semblez vous amuser en bande, vous aurez le plaisir de récurer le sol, jusqu'à la dernière arête.

Il donne des coups de pied dans d'autres contenants, le vent emmène avec lui le parfum de pourriture. J'ai du mal à regarder les carcasses de poissons éviscérés. Les hommes grimacent à leur tour, se pinçant le nez.

— Mais, Capitaine...

— Je ne tolérerai aucune plainte. Vous êtes allés sur terre, batifolez comme des gamins. Tandis que nous sommes coincés en mer, si nous ne voulons pas être faits prisonniers des gardes royaux.

Nous observons les dégâts qu'il a causés en moins de cinq minutes. C'est un don chez lui de tout détruire. De nouveau, l'amertume remonte dans ma gorge et je serre les poings. Morgan ne montre rien, son visage est impassible, il en vient même à claquer des doigts.

Le capitaine des Abysses - Livre 1 : La perle nacréeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant