CHAPITRE 6 : Yggdrasil, la voie des Arches 3/8

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Toth

Un vent léger soulevait les boucles rebelles de Fabiola, les mèches rousses flottaient autour de son chignon qui s'écroulait sur sa nuque délicate. Elle semblait sauvage et candide, comme si rien ne l'atteignait. Elle fermait les yeux et ses narines se contractaient sous les effluves du jardin royal.

Toth, silencieux, l'observait depuis un long moment. Il l'avait vu sortir sur le balcon, l'avait suivi discrètement, et il s'était adossé contre une colonne derrière elle. Le lierre qui habillait le marbre lui tombait sur les épaules. Elle ne l'avait pas vu venir ce qui lui laissait l'occasion d'analyser celle qui l'intriguait. Elle n'avait eu de cesse de l'agacer, chaque mot échangé alimentant son exacerbation envers le petit peuple. Pourtant, il ne pouvait s'empêcher de croire qu'elle méritait son attention. Elle possédait un joli visage, il en convenait, mais ce n'était pas la raison qui le poussait à l'examiner. Il s'attarda sur ses lèvres, elles dessinaient un demi-sourire, espiègle et rêveur. Toth rit intérieurement en repensant ce qu'elles pouvaient prononcer. Fabiola avait un caractère bien trempé, mais elle était brave et pleine d'entrain. Ce fut le motif pour lequel il l'avait défendue face à Galindor. Malgré leurs différends, il n'avait pas toléré de la voir aussi touchée et fragilisée par le roi. Il n'avait pas supporté la pointe aiguë au centre de ses entrailles. Selon lui, elle méritait de savoir tout ce qui concernait l'Arche qu'elle gardait. Il avait découvert l'étendue du petit écosystème frétillant autour de la mare sacrée. Tous ses habitants s'étaient réfugiés sous les broussailles, les bosquets et dans les terriers lorsqu'ils y avaient débarqué plus tôt cette journée. Le mage avait trouvé le sanctuaire et la forêt entretenus, Fabiola feignait la frivolité, mais elle régnait bien en petite mère sur toutes ces petites créatures. Il se demanda quel pouvait bien être son âge, elle lui semblait jeune. À peine mille ans, peut-être deux ? À quel groupe appartenait-elle ? Il n'en avait jamais rencontré avec une chevelure si singulière. Flamboyante et lumineuse.

Une ride se forma sous les yeux farceurs de Fabiola. Elle étira les lèvres pour y dévoiler ses dents d'ivoire. Ses longues canines scintillèrent et rappelèrent à Toth qu'elle était bel et bien une Kréture.

— Je te sens, mage ! dit simplement Fabiola, dont le ton évoquait le sourire quelle portait. Pourquoi m'observes-tu ?

Elle le prit au dépourvu. Elle le savait derrière elle depuis le début et n'avait rien dit. Toth s'empourpra, mais que pensait-elle de lui à présent ? Il ne l'espionnait pas, ne la reluquait pas. Il l'observait, car il la trouvait intéressante, c'était tout.

— Je ne t'espionne pas, Kré...

Elle lui jeta un regard noir qui l'interrompit.

— Fabiola, corrigea-t-il d'un ton plein d'excuses.

Elle se détendit, abaissa ses épaules gracieusement, et reporta son attention sur les jardins.

— Tu vois, tu peux être poli quand tu fais des efforts. Tu sais te faire silencieux, c'est certain. Mais c'est ton odeur qui t'a trahi, je t'ai respiré dès ton arrivée...

Toth se sentit idiot, elle se moquait encore de lui.

— Ah, ma sale odeur d'Alfdarhs, n'est-ce pas ? ne pût-il s'empêcher de dire avec dégout.

Elle l'irritait, encore, alors qu'il se montrait avenant et poli. Dès qu'ils échangeaient quelques mots, tout devenait désagréable. Maintenant, il s'agissait de son odeur, pour qui se prenait-elle ? Que lui avait-il trouvé quelques instants plus tôt ?

Fabiola lui fit face vivement et répliqua, ingénue, sans aucune arrière-pensée :

— Pourquoi sale ? Tu considères tout comme une agression. Je ne t'ai pas insulté que je sache.

Toth redescendit en pression. La fée ne le taquinait pas, il se faisait des idées.

— À quoi ressemble-t-elle alors ?

Elle lui répondit sérieuse.

— La terre humide, le pin frais et le sel. Et moi, que perçois-tu ?

Toth esquiva la question qui le mit mal à l'aise.

— Le ciel va bientôt pleurer, tu n'as pas un solstice à célébrer ? éluda-t-il, la voix étrangement mélodieuse.

— C'est vrai. Je ne vais pas tarder à rejoindre la fête.

Son visage s'assombrit, la joie quitta ses traits et elle pinça la bouche en se frottant les bras comme si elle avait froid.

— Qu'y a-t-il ? Tu me sembles songeuse. Ne traîne pas ou il ne restera plus de myodd pour toi, la taquina-t-il.

Il n'avait pas vraiment le moral à se montrer acerbe. Il n'appréciait pas la mélancolie s'insinuer dans les iris de charbon et de feu de la rousse. Elle respirait la vie, le dynamisme et l'insouciance, et il souffrait de lire sur son visage une tristesse teintée de fatalisme.

— Je ne sais pas. J'ai l'impression que ce solstice sera le dernier que je pourrai fêter. Ne pense pas que tout ceci ne m'affecte pas. Je suis inquiète pour tous ceux qui vivent au pied de l'Arche, pour Alfheim et même Yggdrasil. Ce soir, j'ai vu la reine perdre son sang-froid. J'ai senti la peur dans cette pièce. J'ai peu de souvenirs de la Grande Guerre, mais je ne veux plus ressentir le vide qu'elle a laissé dans le cœur des Yggdrasiliens. Nous devons aider Tim à retrouver son chemin et à rentrer chez lui. Pourquoi ne pas l'avoir repoussé dans le vortex qui l'a amené ? Posons-nous les bonnes questions et apportons-y les bonnes réponses.

— Je ne pensais pas que tu serais autant affectée par cette histoire d'Arche. Nous aurions pu le renvoyer tous les deux, même si je ne sais pas comment. Mais imagine qu'il ouvre une brèche et que d'autres suivent ses traces. Je n'étais pas encore né lorsque la Grande Guerre a éclaté. Je n'ai pas vécu les dix siècles d'horreur et n'ai vu le jour que bien après la paix. Toutefois, j'ai étudié l'histoire et j'ai écouté les témoignages de mes anciens. Nous devons comprendre ce qui l'a amené jusqu'à nous.

La fée le scruta, une expression indéchiffrable sur son visage félin. Elle plissa le nez, ses taches de rousseur s'allongèrent.

— Toi, que vas-tu faire ce soir ? changea-t-elle de sujet et d'humeur, un large sourire fendit son minois.

— Je vais prier le Vaïor'a et rendre grâce à Yggdrasil pour son don. La pluie va bientôt commencer, qu'attends-tu pour y aller ?

Elle s'approcha de lui à petits pas. Sa robe olive ondula autour de ses pieds. Le mage se raidit lorsqu'elle fut à moins d'un pas. Une drôle de chaleur remonta de la plante de ses pieds, sinua contre ses cuisses, chauffa son bas ventre et se dissipa dans sa poitrine et ses joues. Il n'avait jamais ressenti un tel désagrément et souhaitait qu'il continue.

— Te remercier. La raison m'échappe, j'ai remarqué que cela t'a coûté, tu l'as pourtant fait.

Il repensa à son geste, un réflexe, lorsqu'il lui avait tenu la main, la sensation d'avoir outrepassé l'intimité de la fée sans son consentement, l'envie de garder ses doigts dans les siens. Elle l'avait pris comme du dégout. Il s'en voulut. Elle déposa ses lèvres sur la joue rugueuse de l'Alfdarh. Ce dernier hoqueta.

— À bientôt, Toth. On se reverra. Je le sais, dit-elle en prenant sa petite taille.

Elle flottait dans les airs, face à Toth. Elle lui fit un signe de la main et fila par-dessus le balcon, rejoindre les festivités de la ville. Le mage passa une main sur la trace invisible laissée par les lèvres brûlantes de Fabiola. Sa peau picotait encore. Il pressa ses doigts pour que le baiser reste le plus longtemps possible imprimé contre sa joue. En regardant Fabiola partir, il ne put s'empêcher de renifler les traces de son passage. Elle sentait la forêt humide et les fleurs, un souffle délicat et dynamique, à son image. Toth sourit béatement, drôle de petite femme.

Yggdrasil : La Bataille des ArchesWhere stories live. Discover now