CHAPITRE 1 : La Terre, les prisonniers 2/3

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Tim

Seulement deux jours après l'assaut, et Tim ne tenait plus en place. Mac lui donnait une occasion de se dégourdir les jambes tout en nourrissant sa curiosité, il n'allait pas se faire prier davantage.

Le drôle de couple se donna rendez-vous à l'arrière du bâtiment. Le vent lugubre dansait entre les congères de plus en plus hautes et les émanations des fosses septiques les accompagnèrent jusqu'aux barrières électriques.

Des bourrasques mesquines leur fouettèrent le visage jusqu'au parking des motoneiges, qui comme leur avait assuré Greg, serait vide de surveillance pour ce soir.

Tim remonta sa polaire jusque sous ses yeux. Le blizzard gelait tout sur son passage. Déjà, des cristaux de glace parsemèrent les hampes de ses cils d'une poudre brillante. Il se précipita sans attendre Mac vers un véhicule, l'enfourcha et y trouva comme convenu les clés sur le contact. Le roux s'installa derrière lui.

— On est bon pour la potence, gamin, lui cria-t-il dans le creux du cou.

Le jeune homme joignit son index et son pouce en un cercle, geste lui confirmant qu'il était d'accord avec lui. Ce plan sentait le ranci à des kilomètres. Pour autant, quand le vieux grincheux de Greg leur avait proposé de visiter en exclusivité le Glaçon, il n'avait pas réfléchi longtemps.

Son espérance de vie diminuait comme neige au soleil, et son âme meurtrie lui semblait impossible à guérir. Le dernier combat lui avait encore arraché un peu plus de son humanité. Il avait tué pour la seconde fois. Pas une nuit, où les visages des cadavres ne venaient le hanter, pas un matin où une larme dévalait en secret, blotti sous sa couverture, avant de rejoindre les autres prisonniers et de prétendre que tout allait bien.

Tim mourait chaque jour davantage. Il mourait de l'intérieur. Alors, plonger dans ce genre de coup aussi idiot que dangereux était un mirage grisant. Il pensait revivre, un court instant.

Il tourna la clé et la machine démarra. Ils disparurent dans le blanc de l'horizon, sûrs de leur destination. Au bout de dix minutes de conduite dans la poudreuse, la moto s'approcha d'un lot de baraquements à peine visible.

Dans la nuit, les préfabriqués laiteux, hâtivement disposés, prenaient une teinte gris pâle. Si les forces du Grand Atlantique pensaient que cette couleur camouflage trompait l'ennemi, elle se fourvoyait encore une fois. L'adversaire avait déserté les lieux parce qu'il le désirait ; Mac et Tim n'étaient pas dupes.

Ce n'étaient pas les quelques tirs de mortiers et le malheureux assaut qui avaient mis en déroute l'ennemi. Il n'avait pas fui, il avait vu ce qu'elle voulait voir puis il était simplement parti. Ainsi les baraquements blancs avaient été disposés aux abords d'un immense monticule de glace dont la face sud se creusait de stigmates des dernières batailles.

Il devait mesurer une cinquantaine de mètres de haut sur une centaine de large. Vestige d'un glacier jadis présent, il flanquait la roche volcanique pour se perdre dans le flanc d'une petite colline. Tim et Mac firent le tour par la gauche des bâtiments afin d'éviter l'entrée principale et surtout que personne ne les surprenne.

Les lieux étaient étrangement vides, mais sans se questionner, ils avancèrent pour rejoindre l'arrière des abris. Là, l'un des préfabriqués fusionnait avec le bloc de glace via un sas. Tim s'en approcha en dégageant la neige de son bonnet. Il neigeait continuellement depuis trois semaines. Cet événement s'avérait des plus singuliers. En effet, Svalbard n'avait pas connu ce type d'intempéries depuis une vingtaine d'années.

Le climat capricieux sautait de cycles humides à des périodes arides de plusieurs dizaines d'années depuis plus d'un siècle. Le réchauffement climatique avait eu pour conséquence d'homogénéiser les températures, sur l'ensemble du globe terrestre : les régions tropicales s'étaient refroidies et les zones tempérées ne rencontraient qu'une éternelle saison fraîche et sèche. Les nuages passaient, s'assemblaient durant des années et subitement se transformaient en de terribles tempêtes dévastatrices.

Yggdrasil : La Bataille des ArchesWhere stories live. Discover now