CHAPITRE 9 : Les Bois Verts, en route vers la Tour 1/3

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Tim

— Je vous jure sur les ailes des Ases que si vous continuez à nous torturer avec vos vilaines piques, je vous ligote l'un contre l'autre et vous bâillonne jusqu'à destination, tempêta le maréchal Herr.

Depuis leur départ de la capitale alfique, Toth et Fabiola n'avaient pas cessé de se vilipender ; l'un surenchérissait sur l'autre, si bien que Tim crut que l'officier royal allait pour de bon les faire taire à jamais. L'Alfe au plastron scintillant, excédé par leurs enfantillages, les rembarrait maintenant à chacune de leurs disputes. Le militaire qu'il était voyageait rarement accompagné de civils, surtout de ce genre. Tim aurait parié qu'il préférerait suivre une quête bien plus périlleuse ou combattre une quelconque bête mortelle, plutôt que de chaperonner une pareille bande de fous. Toutefois, la menace d'Herr dompta ses compagnons, mais pour combien de temps ? Profitant de ce répit éphémère, Tim questionna l'officier :

— Dites-moi, Maréchal Herr. D'après vous, quand arriverons-nous ?

L'Alfe fit mine de réfléchir, il projeta son regard au travers des rares nuages au-dessus de leur tête. De gros monticules blanc-ivoire, immobiles et majestueux stagnaient dans le ciel bleu azur, un soleil orangé surplombait le tout de la douce radiance des beaux jours d'hiver. Le jeune humain s'émerveillait des couleurs franches et de l'air pur, il n'avait jamais vu telle vivacité sur sa Terre natale. La brise apporta les mots du militaire à ses oreilles avec un petit sifflement d'oiseaux. Des geais traversèrent la route d'un bord à l'autre, excités par l'intrusion du cortège d'heidruns.

— Nous en avons pour moins d'une décade, beaucoup moins si je décide d'en tuer l'un des deux, voire les deux, répondit-il en désignant Toth et Fabiola d'un mouvement sec du menton.

Tim se concentra sur le visage fermé du maréchal et se demanda quand son flegme et sa maîtrise s'effondreraient.

On devinait que seule sa mission importait, celle d'escorter leur groupe jusqu'à la Tour.

Un soupir théâtral attira leur attention : Fabiola, installée sur la croupe de l'heidrun de Tim, s'étira les bras dans des petits cris d'extase avant de se rouler en boule et de clore les yeux. Elle n'avait cure de ce que pouvaient bien se dire Herr et Tim, au point d'entamer sa énième sieste de la journée. Le mage, lui, fermait la colonne ; avachi sur sa selle, il fixait sévèrement le maréchal et Tim.

— N'est-ce pas un peu long comme voyage pour une affaire qui semble si urgente ? reprit Tim.

— C'est le plus rapide que nous puissions faire avec toi à nos côtés. Ne t'offusque pas, mais sans toi, nous aurions pu y être en moins de trois jours. Il existe une voie maritime offrant une traversée assez facile, mais cela aurait éveillé trop de soupçons et qui sait quels espions alfdarhs traînent dans les ports du royaume. La voie terrestre est la plus sûre. Dix jours en bon temps, c'est un délai tout à fait raisonnable. La voie royale est fiable et peu empruntée, nous serons plus discrets. Elle relie Alfbreid, la Cité Lumière, à la Tour. Nos patrouilles arpentent nos routes par simple précaution, notre royaume est paisible, ne t'en fais pas pour cela, humain. Nous avons de la chance de ne posséder que très peu de voyous, brigands ou autres ruffians dans le peuple Alfe. Ces activités sont plus prisées par les Alfdarhs, si vous voyez ce que je veux dire.

Le maréchal pencha la tête en recherche d'approbations, cependant Tim savait où désirait en venir son interlocuteur et il ne souhaitait pas alimenter ces bassesses.

— Non, je ne vois pas, déclara Tim.

— Vous comprendrez avec le temps, insista Herr.

Le petit sourire satisfait du militaire irrita d'autant plus l'humain. L'Alfe regorgeait d'idées reçues sur ses cousins, et l'animosité qu'il leur portait l'aveuglait. Il ne semblait pas être une mauvaise personne, au contraire, tout en lui présumait d'une droiture sans failles ; simplement sûr des préjugés qui l'avaient bercé depuis des milliers d'années, il n'envisageait pas de voir les choses autrement, de s'ouvrir au dialogue ou de s'aventurer au-delà des on-dits.

Yggdrasil : La Bataille des ArchesWhere stories live. Discover now