CHAPITRE 2 : Yggdrasil, le murmure du passé 4/7

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TOTH

Toth, droit et raide, dominait son bureau d'un air contrit. Il ne comptait plus le temps qui s'écoulait, mais le soleil approchait déjà son zénith, ce qui était beaucoup trop long à son goût. Depuis l'aube, il cherchait sa plume. Son père la lui avait offerte lorsqu'il était devenu mage. La mine en péridotite polie était surplombée d'une plume de Namu, un aigle géant aux couleurs fauves vivant dans les montagnes volcaniques d'Alfdarheim.

Les traits tendus de son visage lui donnaient une expression étrange qui trahissait son agacement. Il avait autre chose à faire que de rechercher sa plume. Toth farfouilla frénétiquement dans le monticule de livres et de parchemins qui occupaient le centre de son bureau. Une bourrasque fit virevolter tous les rouleaux de papyrus et quelques feuillets. Il se sentit vaincu et s'affala dans le fauteuil juste derrière lui.

Ce fauteuil était l'ouvrage des plus habiles artisans d'Yggdrasil. Les menuisiers alfdarhs avaient utilisé du bois des forêts volcaniques, les accotoirs étaient recouverts des cuirs des meilleurs tanneurs et corroyeurs de Dweorg. Comme l'avait voulu Galindor, la bergère était ornée de bronze et les tapissiers avaient habillé le dossier, les joues et l'assise d'une étoffe moirée d'une extrême douceur, tissée par les doigts délicats des fileuses alfiques. Cette œuvre était une pièce unique, elle était le fruit d'un travail commun des trois royaumes. Le roi en avait fait la commande pour marquer la nouvelle ère de paix et d'alliance, symbole d'une guerre révolue.

Toth effleura délicieusement le tissu alfique tout en regardant le bureau de gauche à droite, l'air lointain. À sa gauche se trouvait une immense fenêtre qui donnait sur la cour intérieure du palais, on y voyait très bien le patio royal. Un jardin somptueux où les plus vieux oliviers côtoyaient rosiers et grenadiers. La Breidie connaissait un printemps sans fin, alors même qu'on s'apprêtait à fêter le solstice d'hiver. Une brise lui caressa le visage, il ferma les yeux comme s'il avait quelque chose à décrypter dans l'odeur et le bruit du vent.

La décoration de la pièce était assez simple, car il n'avait jamais pris le temps de s'installer. Cela faisait assez longtemps qu'il vivait au palais pour ne plus être un étranger. Pourtant, Toth faisait tout pour ne pas s'intégrer et rester aux yeux des Alfes, le nouveau, fraîchement promu mage de la cour.

Son faciès simulait les traits fins et sans âge de ses cousins. Plus grand et élancé qu'un alfe, sa carrure pouvait le faire passer pour un guerrier. De larges yeux bridés aux cils interminables étaient surmontés par des sourcils fournis dont les poils se mêlaient au niveau des tempes à sa chevelure d'ébène. Ses iris terriblement noirs et son teint hâlé trahissaient son ethnie. Il était un Alfe des forêts ou plus communément un Alfdarh.

Dans un grand bruit, la porte s'ouvrit ce qui fit sursauter Toth. Prêt à sermonner l'intrus, il se leva aussi vite que le vent et se retourna. Il aperçut alors son visiteur et sans que l'on puisse deviner son hésitation ou son étonnement, il baissa son buste dans une révérence des plus gracieuses.

— Ô roi, Pères des Alfes, protecteurs des Kréturs, ami d'Alfdarheim. Moi, humble mage, Toth, fils de Thuin..., commença-t-il.

— Assez ! Assez de politesses. Toth, fils de Thuin, écoute avec attention mes paroles, car l'heure pourrait devenir grave et l'avenir, compromis. L'Arche serait activée...

Le roi gardait son assurance, mais au fond de ses pupilles brillait plus que de l'inquiétude.

Toth rassembla tous ses esprits pour enfin saisir. Le roi Galindor devait sûrement faire référence à l'Arche d'Alfheim, et si ce qu'il disait était vrai, leur monde courait sans doute un danger.

— Comment est-ce possible Votre Altesse ? demanda-t-il sans ciller.

— La gardienne de l'Arche est venue à l'instant nous avertir, l'informa le roi.

Galindor se posta à la fenêtre pour admirer son patio. Il ne se lassait jamais de contempler le vent bercer la végétation dans une danse mélancolique. Il n'avait jamais regretté d'avoir délaissé ses froides forêts pour la paisible capitale, son palais et sa reine. Tout à Alfbreid rendait grâce à la beauté divine de son épouse. Les descendants de Valandil étaient bien bénis des dieux et accrochaient la lumière, où qu'elle fût.

— hm... La gardienne est une Kréture, si je me souviens. Peut-être a-t-elle abusé de myodd, le petit peuple abuse de cet alcool de rosée et de miel jusqu'à en oublier son nom...

Toth essayait de se rassurer plus que de trouver une explication. Le roi qui ne le regardait toujours pas lui ordonna d'une voix ferme :

— Quoiqu'il en soit, l'histoire de cette petite Kréture doit être écoutée. Je t'envoie à ses côtés pour que tu sois mes yeux, j'ai entière confiance en tout jugement. Tu l'accompagneras. Elle t'attend à la porte de l'Ouest.

Toth déglutit, Galindor lui faisait confiance. Il avait toujours su qu'au contraire de la reine, son époux l'appréciait réellement. La raison lui échappait, mais savoir qu'au moins une personne en ces murs ne le maudissait pas amenuisait sa rancœur. Le roi caressa le dossier du gros fauteuil avec nostalgie et délaissa le jeune mage dans ses réflexions.

Si ce que disait cette Kréture s'avérait, la situation ne serait plus de son ressort. Il faudrait faire appel aux Arcanes et ça ne l'enchantait pas du tout. Il détestait avoir affaire à eux. Toth pensa à son roi, Îto. Il sentait qu'il devait le prévenir, mais comment le faire sans que Galindor le considère comme une trahison ? Il prit sa besace de mages avec promptitude, y déposa une pierre de rune, c'est à ce moment qu'il se rendit compte que sa plume y était rangée. Agacé, il sortit, le pas pressé, et se hâta dans les couloirs. Il devait rejoindre la porte de l'Ouest.

Yggdrasil : La Bataille des ArchesWhere stories live. Discover now