CHAPITRE 2 : Yggdrasil, le murmure du passé 5/7

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GWENDALL

Les lunes irradiaient d'une intensité que Gwendall et sa science n'expliquaient pas. Le changement fébrile souleva à peine le duvet sur ses bras, pourtant, l'Arcane peinait à oublier cette étrange sensation. Un étau pressait graduellement son étreinte autour de sa poitrine, rien de douloureux, juste un poids de plus en plus lourd. Un bruit unique claqua derrière ses larges épaules. Une Kréture déboula sur son bureau, sans prendre la peine de changer de taille, désinvolte, elle lui jeta un pli de papier tout en déclarant d'une voix aiguë et laconique :

— Message de la Reine.

À peine l'Arcane frôla des doigts la lettre que sa messagère disparut dans le même claquement d'air qu'à son arrivée. Drôle de manières. De quoi alimenter les idées reçues à propos des Kréturs, qui, pour le large public Alfe et Alfdarh, passaient pour des êtres inconséquents, intéressés que par l'instant présent et leur nombril. Cela n'empêchait pas les Alfes d'en avoir fait leurs serfs, sous prétexte d'une protection. Gwendall se demandait si leurs assujettissements les embarrassaient vraiment. Les Kréturs n'en avaient cure, selon lui.

L'Arcane déplia le petit bout de papier. Il l'apporta à ses narines et inspira profondément. La reine Alerina l'avait parfumée, une délicate odeur de miel. Cela lui ressemblait tant. Gwendall suivit avec son index la courbe gracieuse des premiers mots et lut :

« Mon cher Gwendall, mon ami. C'est à propos de l'Arche. Viens, vite. Tendrement, Alerina. »

Il disparut sans prendre la peine de ranger la missive, dans un bruissement fébrile.

*

Gwendall arriva dans un nuage épais et violet en plein milieu de la salle du trône du Palais Lumière. Cela étonnait toujours de voir les Arcanes se téléporter. Ils étaient les seuls de leurs tailles capables d'une telle prouesse. Les Arcanes ne répondaient pas aux mêmes lois physiques que le reste du peuple de Yggdrasil, et certaines rumeurs racontaient même qu'ils venaient d'un autre monde, au-delà du ciel et des lunes.

La reine Alerina, assise sur son trône, l'attendait déjà, comme si elle avait deviné le moment de son arrivée. Gwendall s'avança vers elle, sans bruit. Il flotta jusqu'aux pieds de la reine et lui baisa tendrement la main qu'elle lui tendait. Le roi Galindor se leva et lui serra les avant-bras comme il était d'usage chez les officiers alfiques. Gwendall devina son angoisse, celle qui lui fit oublier le protocole alfique étriqué et guindé. La douce reine qu'il aimait comme sa fille prit la parole :

— Tu es venu comme je l'espérais, mon ami.

— Ton message était clair. Où est la Kréture qui surveille l'Arche ? interrogea-t-il, direct.

Gwendall se souvenait du jour où il avait confié à cette toute jeune Kréture la lourde responsabilité de veiller l'Arche. Elle avait d'abord ri puis avait accepté la mission — des années après la proposition de l'Arcane — comme si on lui avait demandé de garder un vulgaire caillou. Mais Gwendall n'avait jamais douté de sa loyauté. Fabiola était légère, — c'était un fait —, ce qui ne l'empêchait pas d'avoir la certitude qu'elle seule pouvait s'en acquitter.

— Nous l'avons envoyée avec notre mage, Toth, fils de Thuin. Ils ne devraient pas tarder à revenir. Mais je peux vous garantir que je crois cette petite Kréture. Elle n'aurait aucune raison de fabuler. Elles sont joueuses et espiègles, mais en aucun cas ne mentent, assura Galindor.

L'Arcane marcha en rond et se frotta la barbe.

— Bien. Et qu'a vu la Kréture ?

— Dame Fabiola, le reprit le roi.

— Elle affirme que l'Arche s'est activée, répondit dans un trémolo la reine.

— Bien. Tu as bien agi, ma fille.

Galindor se crispa et s'empara compulsivement de la main de sa douce et la serra avec délicatesse. L'Arcane comprenait l'irritation du souverain. Sa relation avec Alerina nourrissait la jalousie du roi, et Gwendall ne lui en voulait pas.

— Je n'attendrai pas leur retour, je vais directement au-devant de mes frères. La Tour doit être prévenue impérativement, fausse alerte ou non, conclut l'Arcane de l'Étoile.

Sans un mot, il disparut comme il était arrivé, dans un murmure pourpre.

Cette conversation résonna en lui comme une terrible vision. Une vision de guerre, de sang et de morts.

Yggdrasil : La Bataille des ArchesWhere stories live. Discover now