CHAPITRE 4 : Yggdrasil, en route vers Alfbreid 3/6

247 33 77
                                    

Tim

La nuit avait recouvert sa toile indigo profond pour habiller le ciel et faire briller les lunes de Yggdrasil ; la plus grosse, de couleur azur, cachait une partie de sa petite sœur, vert émeraude. Toutes deux scintillaient faiblement et surplombaient un champ d'étoiles délicates.

Des orbes flottants, disposés régulièrement le long de l'allée centrale enflammaient les jardins royaux d'un éclat bleuté et d'un sentiment de plénitude. Les oliviers majestueux frémissaient sous une douce brise, qui arrachait sur son passage mille arômes sucrés et épicés. Tim inspira profondément, les accueillant avec volupté. Une irritation acide au fond de son estomac lui rappela qu'il mourait de faim, encore un indice qui lui assurait qu'il ne pouvait pas rêver. Ce léger inconfort s'évanouit à mesure qu'il avança, bien trop fasciné par tant de beauté.

Ses bottes crissèrent sur le gravier opalescent. L'humain se sentait presque à sa place, dans ce monde étranger. Il laissa son regard remonter l'édifice. Le château, telle une flèche orgueilleuse et fière, s'élançait vers les cieux sans crainte de déranger les dieux qui y résidaient. Les colonnes serpentaient entre les tours épineuses. Elles s'enlaçaient, s'emmêlaient dans des arabesques mythiques. Le maillage architectural, fait du même marbre brillant, d'un blanc parsemé d'éclat de nacre revêtait d'interminables guirlandes de lierres et de glycines, dont les petites fleurs apportaient la vie par touche de couleurs vives et pastels. Aussi sous la lumière nocturne où le bleu se faisait maître, elles accomplissaient le travail de ses bâtisseurs sans limites. Malgré le doux climat, Tim ne put s'empêcher de frissonner quand il comprit la grandeur de ce haut lieu. Il s'enveloppa dans sa parka.

En montant les marches de l'escalier qui menait dans le palais, un halo blanc jaillit des plafonds. Tim leva la tête pour voir d'où provenait la clarté. Il afficha une expression circonspecte, aucun luminaire ne se trouvait au-dessus de lui. Il repensa à la grotte où il avait découvert l'Arche.

— Nous l'appelons le Palais Lumière. Le matériau dont il est fait s'illumine quand on se déplace. Pratique pour celui qui déambule sans torche, mais une calamité pour la garde Royale. La traversée d'une souris est assez efficace pour embraser un couloir entier.

Le mage avait devancé Tim dans sa question, et lui donna la réponse qu'il attendait toujours sur le même ton aigre. Fabiola voulut ajouter quelques mots, mais un alfe en cuirasse s'avança vers le groupe et les interpella.

Toth et le nouvel arrivé s'empoignèrent les avant-bras et ils échangèrent quelques paroles inaudibles. L'armure reflétait orgueilleusement la lumière, faite d'un métal argenté. Tim se demanda si elle était aussi utile que clinquante. L'alfe devait être un officier ; sinon quel intérêt de porter un caparaçon aussi ostensible ? Toth affichait un air grave mêlé de contrariété, ce qu'on lui avait dit ne lui avait pas plu. Dans un cliquetis volontaire, le militaire ouvrit la marche. Il n'avait pas pris la peine de se présenter. La présence d'un humain ne l'avait pas ému un instant. Impassible, hautain, il snoba Tim et Fabiola. Le mage lui emboîta le pas, tout aussi décidé, avant de se retourner et de jeter un coup d'œil exaspéré à ses compagnons.

Fabiola et Tim échangèrent un regard, ils se comprirent aussitôt : Toth considérait cette histoire trop sérieusement. Le jeune homme, bien que raisonnablement perdu et déboussolé de se retrouver dans un monde aussi mystérieux, essayait d'apprécier la relative quiétude de lieu. Loin du foutoir qu'était devenue sa Terre, il préférait se laisser porter par les évènements et voir où ceux-ci l'amèneraient. Il s'en fichait qu'on le trouve suspect. Il subissait sagement, car rien ne pouvait égaler ce que vivait la Terre en ce moment. Il songea fort à son ami et son mentor, Mac... Où était-il ? Toth le sortit de ses pensées :

— Viens, l'humain.

Tim leva la tête. Quand cessera-t-il de lui parler sur ce ton ? Le mage se prenait pour un petit chef. Non content de sa situation, il assénait autant que possible ceux qu'il estimait inférieurs. Fabiola intervint :

— Tu sais, Toth, peut-être que tu devrais juste l'appeler Tim. Non ? Il est au courant, hein, qu'il est un humain. Pas besoin de le répéter à chaque fois que tu t'adresses à lui. D'ailleurs, moi aussi je sais qui je suis.

— Suivez-moi. Et en silence. Et... Kréture, ton avis ne m'intéresse pas.

— Nous l'avons remarqué, Toth, le mage. Ou plutôt devrais-je dire : Toth, l'Alfdar ! piqua Tim en envoyant un clin d'oeil à Fabiola.

Elle éclata de rire, elle ne s'était pas attendue à ce que Tim lui expédie ce genre de réplique.

Yggdrasil : La Bataille des ArchesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant