Chapitre 8 : And party 'til the night is through - 2/2 {Lee}

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Ils dansaient depuis une demi-heure. Peut-être même un peu plus ? Beaucoup plus. Lee avait perdu toute notion du temps. Ce soir le groupe ne jouait que des chansons qui lui plaisaient. Non. Ce n'était pas ça. Ce soir, toutes les chansons lui plaisaient. Trevor se trémoussait avec tant d'énergie que de fines gouttes de sueur perlaient sur son front. Ses yeux d'acier pétillaient, ceux de Lee aussi. Elle riait tellement que son maquillage avait coulé sur son visage. Sans doute était-elle dans un état lamentable.

Elle ne s'était jamais sentie aussi belle.

Aussi insouciante, aussi libre.

Au bout d'un moment, les musiciens déclarèrent avoir besoin d'une pause et Lee se laissa retomber dans les bras de Trevor en soupirant sa déception. Ses jambes montrèrent aussitôt les premiers signes d'une fatigue qu'elle n'avait pas soupçonnée jusqu'alors, et ils décidèrent de s'extirper de la foule.

« L'épicerie Williams & Sons doit être vide, à cette heure-ci, nous y serions tranquilles », fit remarquer Trevor.

Lee refusa de grimper davantage que quelques marches de l'escalier qui menait à la surface. Il s'assit à ses côtés, laissant entre eux une distance respectable avant de soupirer à son tour.

« Mais si nous arrivions en haut de ces marches, vous ne seriez plus Marissa. Vous redeviendriez Lee et vous ne pourriez plus vous comporter avec moi comme vous l'avez fait cette nuit. »

Lee prit une profonde inspiration, sans toutefois lui accorder le moindre commentaire.  Ferma les paupières et l'espace d'un instant, ne fut plus ni sous terre, ni sur terre, n'exista plus ailleurs que nulle part. Et souhaita presque y rester.

« J'ai quitté La Nouvelle-Orléans à la mort de ma mère », finit-elle par raconter au bout d'un long silence.

Juste un début d'information, un fragment de son passé. Un modeste morceau d'une histoire qu'elle n'avait pas emprunté aux multiples vies contraires de Marissa, livrée comme une offrande à celui qui, à ses côtés, se taisait sans oser poser toutes les questions qui lui brûlaient les lèvres. Précisément parce qu'il se taisait sans oser les poser. Il pencha la tête vers elle pour l'encourager ; un geste vain, qui arrivait trop tard : Lee, de toute évidence, avait déjà décidé de lui accorder sa confiance.

« Ma mère était ma seule famille. Mon père était un grand propriétaire, pas un grand homme. Le soir de sa mort, elle tentait de mettre au monde celui qui devait devenir mon petit frère et que je n'ai jamais connu, que personne n'a jamais connu. J'avais quinze ans et elle m'a laissé tout ce qu'elle avait, c'est-à-dire pas grand-chose.

— Juste assez pour prendre le premier train vers le Nord.

— Exactement. C'est l'un des derniers conseils que ma mère m'a donnés. Une ultime promesse, avant de partir. Celle d'une existence plus sereine, si seulement je parcourais quelques kilomètres. Je n'avais pas la moindre petite idée de ce que j'allais bien pouvoir faire de ma vie, en débarquant à Chicago, et puis je l'ai vu. Là, sur les quais. Tenant dans les mains une pancarte en carton sur laquelle ses doigts fébriles avaient écrit un mot, un seul – hospitalité –, parce qu'il n'a jamais appris à écrire. Cet homme, c'était Charles Washington.

— Charles Washington, vénéré patron du Mad Circus, vous attendait à la gare de Chicago ?

— Charles Washington, vénéré patron du Mad Circus, se rendait à l'époque tous les mercredis à la gare de Chicago dans le but d'aider ceux qui en avaient besoin, et de recueillir chez lui d'éventuels orphelins qui voyageaient seuls. Dans ce train, dans cette vie. » Elle sourit, se revoyant adolescente au milieu de la foule. « J'étais en veine : je suis arrivée un mercredi.

CyrielleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant