Chapitre 16 : I've been dazed - 2/2 {Cyrielle}

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Cyrielle devait retourner aux archives. D'une manière ou d'une autre, ne serait-ce que pour y récupérer son manteau. Elle envisagea de mettre Madeline dans la confidence ; se ravisa. Madeline en parlerait à Laurie et l'idée même de lire ensuite la déception sur le visage du jeune homme la rendait malade. Georgia ? Il n'y avait toujours aucune trace de Georgia. Elle semblait avoir été aspirée par quelque trou noir dans les bas-fonds de l'université ou les profondeurs de l'univers. Non, elle devrait s'en charger elle-même. Y aller toute seule.

Hoffman ne s'y trouvait pas.

Ou du moins ce fut ce qu'elle crut de prime abord, car l'endroit n'avait jamais été aussi désert en pleine journée. Aussi silencieux. Les élèves s'étaient-ils tous passé le mot ? Imaginé que tout le monde penserait que seul le coupable reviendrait sur les lieux de son crime ? Ou avaient tout bonnement jugé que cet endroit portait malheur. Cyrielle elle-même n'en doutait presque plus. Et lorsqu'elle aperçut l'archiviste, assis dans son bureau la tête entre les mains devant une tasse qu'il ne touchait pas, qu'il ne semblait même pas voir, elle en fut absolument certaine.

Pour une raison qui lui échappait, elle se sentit obligée d'avancer jusqu'à lui. Elle aurait pourtant pu s'enfuir sans un bruit. Dans son état il n'entendait plus rien, ne discernait plus personne. Elle aurait pu marcher dans ses propres empreintes, à reculons, gravir les marches deux par deux, remonter à la surface, disparaître à tout jamais. Ou presque à tout jamais. Assez longtemps pour que tout soit oublié.

Mais ce fut plus fort qu'elle. L'ombre d'Hoffman tirait sur des fils invisibles et elle avançait, elle avançait doucement mais elle avançait, tel un pantin brisé, boiteux, que le marionnettiste mettrait des semaines à réparer.

« Hoffman, je peux tout expliquer. »

Il ne sursauta pas, bien qu'il n'ait pas réagi, rien entendu, tandis qu'elle progressait jusqu'à sa table. Leva les yeux si lentement vers la jeune fille que celle-ci se convainquit que lorsqu'ils l'atteindraient, ils déclencheraient la foudre sur son crâne.

« Tu as oublié ton manteau. Je l'ai suspendu juste ici, derrière la porte. »

Il n'ajouta rien de plus pendant de longues secondes. Cyrielle non plus. Ses doigts tremblaient et si le silence s'éternisait, ses genoux suivraient. Puis l'archiviste bondit soudain de sa chaise sans prévenir. Se mit à arpenter la pièce de long en large. Parla beaucoup, parfois pour dire deux fois la même chose, parfois pour se contredire en une seule phrase, agita les mains, les bras, renversa une lampe sans le faire exprès. Mais il n'était pas en colère. Il était en quête de solutions. Et toutes aboutissaient à la même conclusion :

« Tu dois absolument aller voir le Doyen.

— Il n'en est pas question, finit-elle par annoncer, et il s'arrêta pour la contempler longuement, pour la première fois depuis qu'elle était entrée dans son bureau.

— Cyrielle je ne plaisante pas, la situation est très grave. Quand j'ai compris ce qu'il s'était passé, ce matin, j'ai fait ce que j'ai pu pour sauver les meubles. Pour te sauver, toi. J'ai dit que c'était un Saturne, qu'il ou elle avait dû être piqué d'une crise de conscience ou d'une foutue connerie de ce genre, pour avoir soudain envie de se rebeller et de saboter son affaire, que je l'avais vu avec ce fameux dossier mais que non, non, Monsieur le Doyen, je ne me souviens pas de son nom, je ne me souviens que très vaguement de son visage, et je préfère ne rien dire plutôt que de prendre le risque d'accuser quelqu'un à tort. Je pensais que ça suffirait à disculper tout le monde. » Il secoua la tête. « Mais c'est tout l'inverse qui est arrivé. Ils vont tous être renvoyés par ma faute. Bon sang, il a fallu que je recommence.

CyrielleМесто, где живут истории. Откройте их для себя