C18 : Get up, get yourself together, and drive your funky soul - 3/3 {Bennett}

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La sonnette retentit au beau milieu de la nuit. Juste une fois, presque hésitante, presque à regret. Presque. Un son timide, un bref silence, et puis soudain, le bruit sourd d'un poing cognant à répétition contre le bois de la porte bleue. Cette fois pas de doute : les regrets n'étaient plus, seule subsistait la rage.

Bennett s'était couchée fâchée, aussi s'extirpa-t-elle d'un bond et sans effort d'un sommeil sans repos. Elle entendit des pas au rez-de-chaussée. Son père, qui se levait. Lorsqu'elle se précipita à sa fenêtre pour l'entrouvrir, la conversation, dehors, sur le perron, avait déjà commencé.

« Ce que je viens faire ici à une heure pareille ? s'exclamait son oncle Danny. Je suis venu te demander de garder ta fille sous contrôle, voilà ce que je viens faire ici à une heure pareille.

— Laquelle ? s'enquit la voix endormie de Ted.

— A ton avis ? La plus cinglée des deux. »

Bennett s'apprêtait à s'asseoir sur la banquette juxtaposée à sa fenêtre au moment où l'insulte fusa, et faillit bien tomber. Elle retrouva l'équilibre ; il lui sembla perdre dans le même mouvement une part entière d'elle-même.

« Bennett ? demanda Ted. De quoi est-ce que tu parles ? Elle s'est montrée très sage, ces derniers jours, et crois-moi j'en suis le premier surpris.

— Sage ? » Danny manqua de s'étouffer. « Tu peux faire une croix là-dessus, mon vieux. Elle ne sera plus jamais sage, cette gamine est... Elle est irrécupérable. Je ne sais pas comment elle s'est débrouillée, au juste, mais elle a tout pris du mauvais côté de la lignée, elle a tout pris de notre côté. Pourquoi crois-tu qu'elle se fait appeler par notre nom de famille ?

— Parce que sa mère est morte et qu'une partie d'elle lui en veut. C'est elle qui avait choisi son prénom. »

Bennett, outrée, se retint de sortir de sa cachette pour lui crier à quel point il se trompait, à quel point il n'avait rien compris, pour lui expliquer qu'elle ne se faisait pas appeler ainsi par haine de sa mère, mais par amour pour son père. Comment pouvait-il ne pas savoir cela ?

« Tu as tort, lui certifia son oncle, et elle le remercia mentalement avant d'entendre la suite et de déchanter presque aussitôt. C'est le sang pourri de Papa qui coule dans ses veines et inconsciemment, elle doit le savoir. »

Bennett se rapprocha de l'ouverture de la fenêtre et tendit l'oreille. Ni Ted ni Danny n'évoquaient souvent le souvenir de leur père. Dès qu'elle posait une question, elle se voyait systématiquement rétorquer qu'il s'était mal comporté de tant de manières différentes qu'il serait trop long de tout détailler. Tout ce qu'elle savait, c'était qu'il avait fini par chuter de l'arbre généalogique et n'avait plus été en état de se rattraper à la moindre branche.

« Le sang pourri de... Bon sang, tu en as du culot, Danny. Rappelle-moi depuis quand est-ce qu'on se ressemble, toi et moi ? S'il y en a un qui a des tas de points communs avec le paternel, c'est toi. Moi j'ai toujours filé droit.

— Oh, mais bien sûr. Bien sûr ! Pas étonnant qu'il ait filé droit, le petit Théodore, en étant élevé par la gentille Darlene, hein, la douce et parfaite Darlene, pendant que j'trimballais mon derrière d'un mobil-home à un autre selon le bon vouloir du dealer de ma mère. »

Pendant un instant, plus personne n'osa prononcer le moindre mot, et Bennett écarta le rideau d'un geste furtif pour vérifier que les deux hommes se tenaient toujours devant la porte d'entrée. Danny avait enfoncé les deux mains dans les poches de son jean, se balançait avec nervosité sur ses chaussures vernies. Ted le fixait avec sur le visage une expression qui, dans la faible luminosité des réverbères de la rue, s'apparentait presque à de la tendresse.

CyrielleWhere stories live. Discover now