La nuit était déjà tombée sans que je m'en rende compte. Les lumières des commerces éclairaient les rues dehors : bars, boîtes de nuits, pubs, les petites boutiques qui fermaient tard rythmaient le début de soirée. Et j'étais là, assise sur ce tabouret dans ce bar où j'ai laissé mes pieds me porter inconsciemment. 19 heures, 20 heures, 21 heures, les aiguilles ne font que défiler sur l'horloge au-dessus de l'entrée, elles dansent entre elles, elles dansent devant moi, devant mon corps immobile.
Verre à la main, même boisson depuis que je suis rentrée ici, je n'ai pas compté le nombre de verres qui sont passés par ma main.
Contrairement à mon verre, mon esprit est vide, je laisse la chaleur de l'alcool glisser le long de ma gorge en espérant que les multitudes de gorgées que j'ai pris viendront soulager ce corps lourd par ces démons qui se sont installés depuis bien trop longtemps. Mais je suis beaucoup trop faible pour les faire partir, en tout cas ce soir, je les laisse prendre possession de mon corps.
Les corps circulent dans ce petit bar, ça se bouscule, on crie, on danse, on rigole. Je suis la seule à ne pas être d'humeur fêtarde.
Une âme errante sans conviction, c'est que les gens pourraient penser s'ils me voyaient.
- « Je vous en sers un autre mademoiselle ? »
Voilà la seule personne qui se soucie de moi ce soir, et il ne s'agît que de l'homme qui s'occupe du bar auprès duquel j'ai commandé de nombreuses boissons.
- « Hein ? Euh non merci, ça va aller. Je pense que je vais rentrer. »
Les seules phrases que j'ai sorties en ce début de soirée, autres que celles pour me commander à boire. Mon corps ne veut pas bouger, mais mon esprit me dit de partir, de ne pas afficher ma peine devant ces nombreux visages qui sont là pour faire la fête.
- « Vous êtes sûr ? Vous voulez que j'appelle un taxi peut-être ? »
- « C'est gentil, mais vous n'inquiétez pas, je n'habite pas très loin. »
Et c'est ainsi comment la seule et unique conversation que j'ai eu se termina.
***
Seule, déambulant dans les rues de la ville, je traîne mon corps jusqu'à chez moi. Mon cœur me dit de ne pas rentrer car je sais que dans cet appartement qui était le nôtre, aucune de ses affaires ne sera dans mon champ de vision. Tout sera parti, il ne restera que les miennes. Tout semblera plus grand et tellement vide. Je ne veux pas y retourner, je veux trouver un autre endroit où dormir ce soir, je dormirai n'importe où mais pas chez moi s'il le faut..
Je sens petit à petit les effets de l'alcool : j'ai chaud, mes jambes tremblent, ma vision devient de plus en plus floue.
Je m'arrête un court instant comme si je pouvais reprendre mes esprits d'une seconde à l'autre, je me frotte légèrement les yeux, les lèvent vers le ciel et prend une grande aspiration..
La nuit est fraiche mais pas froide. L'hiver venait de quitter son nid et m'a laissée goûter aux fraîcheurs que les longues nuits peuvent offrir.
Au loin, une boutique asiatique. Elle n'est pas très loin de chez moi, c'est souvent là que je vais acheter à manger quand l'envie de cuisiner n'est pas toujours présente. Je prends la décision de m'y arrêter pour prendre quelque chose, peut-être pour faire estomper les effets de l'alcool qui sont en train de prendre possession de mon corps.
Alcool accompagné de la présence de mes démons, qui sait les dégâts que cela pourra procurer.
Assise, encore une fois, ambiance différente d'il y a quelques minutes, mais cette fois-ci ce n'est pas un verre que j'ai dans la main, mais des nouilles au poulet crevettes, mes préférées.
- « Je t'ai vu mangé ces nouilles avec plus d'enthousiasme ma belle »,
Mr Lee le dirigeant du magasin. Je suis devenue sa petite habituée préférée, il a comme une sorte d'attachement vis-à-vis de moi, il me parle souvent de sa fille et à quel point je lui ressemble dans mon caractère.
- « Oh, ne t'inquiète pas, je les aimes toujours autant. C'est juste que ce soir, c'est un soir...un peu trop long pour moi. »
un petit sourire forcé vient de se former sur mon visage pour éviter de l'attrister.
- « Un soir n'est jamais trop long pour toi. Je suis sûr que tu retrouveras cette énergie qui donnera l'impression que les longues heures de cette nuit ne sont que des minutes pour toi. »
Il a toujours trouvé les mots qui me font sourire ou redonner un peu d'espoir en la vie.
- « Qui sait ? Peut-être ? Mais pas ce soir en tous cas »
je lui réponds et je reprends une bouchée de mes nouilles.
- « Même des minutes, dans une heure, ça paraît comme une éternité. »
J'aurai repris mon action de manger normalement si seulement je ne venais pas de me rendre compte que ce n'était pas la voix de Mr Lee. Moi qui pensais être seule à cette heure dans le magasin.
Je me retourne vers cette voix rauque qui vient perturber mon esprit, et tout ce que je vois est une silhouette, large des épaules, dos à moi portant un sweat à capuche violet.
L'inconnu a dû sentir la pression de mon regard sur lui suivit d'un grand blanc qui n'arrange en rien la situation. Il lance un premier regard à Mr Lee. J'arrive à apercevoir le bout de son nez qui dépasse de sa capuche qui laisse deviner son profil. Petit à petit, il tourne son corps vers moi ; manches remontées qui laissent entrevoir son tatouage sur son avant-bras, ses mèches de cheveux noires qui viennent se perdre sur le haut de son visage, sa bouche qui semblait tirée d'une statue et posée sur lui, et ses yeux.
Ses yeux, pleins de mystère qui ne demandent qu'à être découverts.
- « Je ne dois pas être la seule âme vagabonde ce soir. Bonsoir Mademoiselle »
il m'adresse cette phrase, malgré sa voix rauque, j'essaye de ne pas montrer que je suis perturbée par elle que j'entends pour la deuxième fois.
- « Deux âmes vagabondes, dans un petit magasin asiatique. Vraiment très charmante comme ambiance »,
je fais mine de rien, je n'ai force de rien ce soir. Je veux juste finir le plat devant moi, rentrer dans cet appartement dont l'idée de le trouver comme il est actuellement me ronge de l'intérieur, et me plonger dans mon lit deux places qui sera beaucoup trop grand pour le seul et unique corps qu'il accueillera ce soir.
L'inconnu au sweat violet, quitte son tabouret, marche vers moi. Il est derrière, je le sens. Je n'ose bouger, je décide de ne pas lui prêter attention et fixe mes nouilles et baguettes qui dansent dans ma main sans conviction.
- « J'espère en tout cas que votre plat a plus de goûts que nos deux vies combinées. Bonne soirée Mademoiselle »,
je n'arrive pas à savoir à quelle distance il est de moi mais sa voix ressemble à un chuchotement sur son dernier mot.
- « Hum. Merci vous aussi. »
je lui réponds avec froideur, comme je l'ai fait à tout le monde ce soir. Mr Lee a été la seule exception. Doucement mes yeux se portent sur lui quittant le magasin, je le vois marcher, dos à moi, et disparaître à la fin de la ruelle dans son sweat violet.
Mon cœur me dit de décrocher mes yeux de lui, mais mon esprit semble me dire que cette rencontre n'était pas si hasardeuse que ça.
Est-ce que nos deux âmes vagabondent seront amenées à se revoir quand les heures de la nuit deviendront trop longues ?
