Prologue

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— MAY
15 Septembre 2023

- Tu pourrais baisser ta musique Charlie, s'il te plaît. Soupiré-je en fermant les yeux, pour essayer de m'endormir.

J'essaie tant bien que mal de faire le vide dans mon esprit afin de m'envoler vers le pays des rêves mais rien n'y fait. C'est plutôt logique lorsqu'on est enfermés dans un cauchemar.

Honnêtement je ne vais pas mentir, ni faire la fière ou la fille forte, tout ce qui s'est passé ces dernières semaines a permis d'achever la destruction de ma santé mentale, qui était déjà bien amorcée.

Les funérailles ont étés éprouvantes, on a dû faire en sorte qu'elles soient parfaites, parfaites parce que c'est ce qu'elle méritait. Elle méritait des adieux dignes de ce nom, elle méritait que l'on s'excuse tous à la place des cieux pour l'avoir privée de la vie, si vite. Je me suis occupée de tout, d'absolument tout.. Avec l'aide des mes grands-parents tout de même et de la meilleure amie de ma mère, Amy.

Mais qu'est-ce qui j'y connais vraiment à la mort moi ? J'ai 19 ans, 19 ans c'est l'âge de la vie pourtant, l'âge doré, l'âge de la découverte.. Mais non je suis ici, dans cet avion, après avoir géré des papiers pour l'emplacement de la sépulture au cimetière, après avoir payé cette pierre tombale.

Rien n'a de sens, et n'est aucunement dans l'ordre des choses. Mais c'est ainsi.

J'ai essayé de préserver Charlie, il est plus jeune que moi, je n'ai pas envie qu'il soit tant confronté à la dureté de la réalité. Le déni est une étape de deuil, et je le laisserais y être un moment, si il le souhaite. Je ne compte pas le brusquer.

Papa nous a appelé toute la semaine, après des années sans nous adresser la parole, c'est plutôt cocace. Enfin, si, quelques messages pour Noël et les anniversaires, mais c'est tout.

J'ai l'impression d'aller vivre chez un inconnu, c'est bien étrange, pourtant, mes parents ne se sont pas séparés il y a si longtemps. J'avais 13 ans, je fumais déjà pour m'éclipser des crises de colères et des verres qui volaient dans la cuisine. Papa était bien trop strict et souhaitait me voir évoluer dans une école privée, Maman n'était pas comme ça, c'était une musicienne, une chanteuse, une artiste..

La plus incroyable que le monde ait porté.

L'avion survole les buildings de l'État de New York, on peut même voir l'océan Atlantique, je l'avais oublié.

Je respire fortement, je sais que ça va être extrêmement difficile, la douleur m'a déjà anesthésié mais celle que je vais bientôt expérimenter va sûrement m'achever.

Je n'arrive toujours pas à dormir, Charlie met la musique trop fort dans son casque. Il ne l'a pas quitté depuis le décès de Maman.

L'avion arrive enfin et se pose à Boston, j'ai vraiment pas envie de descendre, je sais que rien ne sera comme avant, tout va changer, absolument tout. J'ai prié pour que l'avion explose en vol, c'est vrai, mais visiblement, je n'en ai pas encore fini avec ce monde affreux.

On descend de l'avion avec Charlie et l'air ambiant est presque jaune tant la pollution est importante ici.

Après avoir récupéré nos valises, on les traine dans l'immensité de l'aéroport, criblé de lumières.

Finalement, je le vois, il se tient devant nous, sa chemise et sa cravate parfaitement repassées. Son visage est caractérisé par un air triste, il nous regarde comme si il culpabilisait. Malgré son absence ces 6 dernières années, je sais qu'il est important pour Charlie, et je sais que c'est surtout son dernier pillier.

Charlie se jette dans ses bras, laissant tomber toutes ses défenses. Dans ce genre de moment, le désespoir est trop présent pour laisser place à la rancoeur.

Je l'embrasse également, tout de même avec plus de retenue. Je lui en veux terriblement pour cet abandon, et je me sens coupable car lui n'a pas l'air de comprendre la gravité de ses actes.

- May.. tu vas mieux ? Demande-t-il d'une voix tendre.

- Je te mentirais si je te disais que oui. Rétorqué-je, comme si la réponse n'était pas déjà évidente.

- Donne moi ta valise, je suis garée devant le portail F, suivez-moi. Tu n'as que ça comme affaires ?

- Je suis pas matérialiste. Affirmé-je, froidement.

Mon père ne dit plus rien, sûrement par peur de se reprendre un nouveau tir de ma part.

On rentre dans une belle voiture noire, luisante et moderne. Ce mec pue l'argent. C'est tout sauf mon monde, ici. On s'assoit tous dans cette voiture, qui ne laisse apparaître aucune impureté.

- Bon, il me semble qu'il y a des bouchons jusqu'à la maison, j'espère que vous êtes patients. Rigole nerveusement mon père.

- On est pas à ça près, je pense. Soufflé-je.

Mon père laisse échapper un lourd silence avant de démarrer le moteur, et de commencer à conduire.

- Vous savez, j'ai pris les devants au niveau des inscriptions pour l'école. Charlie, il faut que tu retournes au lycée, j'en ai plusieurs à te proposer, et May-

- Attends, tu te fous de moi là ? Tu crois vraiment que c'est le moment de nous parler de ça ? M'agacé-je en lui coupant la parole.

- Il va bien falloir que tu retournes étudier oui, tu ne vas pas rester à la maison sans rien faire.

- J'ai pas envie de parler de ça c'est tout, tu pourrais me demander comment je vais, ce que je fais dans ma vie, j'en sais rien, être un père normal quoi. Rétorqué-je.

- Je vois.. tu as gardé ton sale caractère. J'espère sincèrement que tu vas descendre d'un ton.

- Laisse moi tranquille. Soufflé-je dans ma barbe avant d'arrêter de lui répondre.

On rejoint progressivement la maison, qui semble bien placée, les quartiers que l'on traverse puent l'aisance financière. On passe devant de grands bâtiments jaunes, assez modernes, accompagnés d'un blason, un blason doré et bleu.

Mon père montre du doigt les bâtiments pendant que l'on passe devant.

- L'Université privée de Boston, Loffolk University. Ta future maison, je l'espère. Sourit-il.

- Tu vas me laisser pourrir dans cet antre de riches là, sérieusement ?

- Tu n'as pas l'air de te rendre compte.. toi aussi, tu fais maintenant partie de ce monde. Tu es une Bozzelli, je te laisserai pas "pourrir" dans une fac miteuse. Souffle-t-il, agacé par mon comportement. Tu sais que des gens tueraient pour atterir ici ?

Je me renfrogne dans le siège passager et décide d'arrêter d'intervenir. On arrive enfin à la maison, celle qui sera la mienne pour quelques temps maintenant.

Elle est immense, beaucoup trop pour moi. Elle est vide, pas vide de meubles mais vide d'émotions. C'est étrange si peu de vie dans un endroit, tout est froid, c'est comme si l'originalité n'avait pas sa place, ici.

Charlie n'a pas décroché un mot depuis qu'on est arrivés, il garde son casque. Mon père m'indique la pièce qui me servira de chambre.

Je pose mes affaires dans cette dernière seulement occupée par un lit, une armoire et un bureau.

Cette année va être longue, très longue.

The Crow's ParadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant