Prologue

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Mirabilis

6 ans plus tôt

— Sorcière !

Les insultes me parviennent comme si elles m'étaient destinées. Je me raidis, lisse ma robe entre mes mains moites et tente de fixer mon regard au-delà de la foule en effervescence. Il y a, sous mes yeux, la colère du peuple. Ils hurlent à s'en casser la voix, condamnant à mort celle qui l'ai déjà et qui attend sagement derrière le rideau pour me rejoindre sur l'échafaud.

Dans quelques minutes, je verrais mère pour la dernière fois. Son regard froid et hautain ne m'atteindra plus, pas plus que ses remarques acerbes sur la place trop importante que je prends auprès de père. Elle s'avancera à mes côtés, mais n'aura pas le luxe de se tenir debout ; la hache convexe maintenue sur la guillotine mettra fin à sa vie tout autant qu'à ses mensonges.

Je prends une inspiration et accueille l'air froid de ce début d'hiver du mieux que je le peux. Et quand bien même mes poumons me brûlent, j'apprécie la vie plus que je ne l'ai jamais fait.

Il y a de cela trois jours, j'ai appris que mère était une enchanteresse, la dernière ayant survécu à la grande chasse. Voilà plus de vingt années qu'elle cachait ce secret au roi, l'homme dont elle était tombée éperdument amoureuse. Ne pouvant se contenter de l'aimer sans retour, la malheureuse n'a rien trouvé d'autre à faire que de l'envouter jusqu'à ce qu'il soit fou d'elle et prononce leurs fiançailles les jours suivants.

Quatre années plus tard, au milieu de toute cette mascarade, je suis née. Enfant non désirée d'une mère qui ne voulait le roi que pour elle, j'ai rapidement compris que sa jalousie maladive m'inviterait à m'effacer jusqu'à disparaitre.

— À mort, raclure !

Je sursaute face à la violence de ces mots, refusant de poser le regard sur celui qui vient de les prononcer. Ma curiosité finit par prendre le pas sur la raison, me poussant à baisser la tête afin de découvrir l'homme d'âge mur qui me fixe avec dégoût. Si sa haine semble m'être dirigée, le supposer n'est pas une bonne chose. Le téméraire jette un objet à mes pieds, me forçant à me reculer par prudence. Après un coup d'œil curieux, je reporte mon attention sur le ciel qui couvre la foule d'un voile blanc, feignant de ne pas avoir aperçu la fleur qui fane à mes pieds —un mirabilis d'un rose profond, entrecoupé de lignes blanches qui tirent sur le jaune.

Une goutte de sueur glisse le long de ma colonne vertébrale, stoppée dans son élan par mon collant déjà humide. Ma panique prend une nouvelle dimension quand le rideau s'ouvre brutalement, réveillant le peuple qui s'égosille plus que jamais.

Cette fois-ci, je garde le ciel comme paysage, sachant pertinemment ce que je trouverais s'il me prenait l'envie d'être aventurière.

Zilia Dekara, reine déchue du royaume d'Ilios, vient de faire son apparition sur l'échafaud. Elle est sans doute accompagnée des gardes royaux et ligotées autant qu'il est possible de le faire étant donné les circonstances.

Zilia aurait pu ne pas être une mauvaise personne, comme n'importe qui en ce monde. L'amour a été sa plus grande ombre, allant jusqu'à causer sa perte. En effet, quelques jours auparavant, alors que j'allais fêter ma seizième année d'une vie peu trépidante, mère a cru bon de lever l'envoûtement qui tenait le roi à ses côtés, persuadée que son amour était devenu sincère au fil des années.  

Il ne l'était pas et ne l'avait jamais été. Le roi Afélis, mon père, ne ressentait de sincère pour cette traitresse qu'une haine profonde mêlée à un besoin de vengeance immédiat. Dupé par la dernière enchanteresse des royaumes, le roi l'a immédiatement condamnée à mort et reclus au fond d'une cellule où ni la lumière du jour ni la clémence ne lui rendraient visite. Et si certains doutaient encore du danger de ces sorcières, Zilia a su prouver qu'il n'y a en leur cœur que le vice et l'obscurité.

MIRABILISWhere stories live. Discover now