Chapitre 10

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Loukas


— Bordel, c'est une femme !

Je fulmine.

Dans les couloirs du château en compagnie de mon père, je n'arrive pas à décolérer. Lui se permet de garder le silence tandis que je le suis dans les longues pièces exiguës et les différents escaliers qui mènent à ses étages. Je le connais assez pour savoir qu'il souhaite une conversation tout en discrétion, mais c'est beaucoup trop me demander. Alors je trottine derrière lui, jurant contre ce plastron qui m'entaille les aisselles, les côtes et le bas du dos. Je jure face à la taille du château qui fait qu'il nous reste encore deux escaliers et, enfin, contre le monde entier d'être qu'une entourloupe encore plus grande que ma rage.

Je ralentis le pas au dernier escalier afin de desserrer le plastron au niveau de mes épaules. Je manque me retourner un ongle, puis deux. Peu m'importe, je ne supporte plus cet accoutrement ridicule. A quoi tout ce cirque a-t-il servi ? Rien. Foutrement rien. C'était soigneusement réfléchi, prévu pour impressionner l'ennemi et prouver notre puissance inégalable – j'étais d'accord avec cela.

Je n'avais pourtant pas songé une seule seconde que cela ne serait pas nécessaire. Jamais je n'aurai cru que cette raclure de roi n'avait été bon qu'à engendrer une fille – ses bourses sont aussi inefficaces que son armée. C'est pourtant bien le cas. L'héritier est une héritière. Et tandis que nous nous sommes préparés comme si nous étions prêts à partir en guerre, madame s'est affublée d'une robe grotesque et de quelques soldats pour s'accrocher à leurs bras. Elle allait bien plus à un bal qu'à la guerre, et n'a certainement jamais mis les pieds en zone de combat.

Il n'était pas nécessaire que je sois à moitié nu, luisant et transpirant comme le dernier des ivrognes. Le métal n'avait pas à m'entailler la peau avec tant de vigueur, surtout si c'était pour faire face à une putain bonne qu'à remonter ses jupons jusqu'à ses cuisses.

Père jette un coup d'œil derrière lui, s'assurant que je le suive toujours, puis finit de monter la volée de marche avant d'ouvrir la lourde porte en bois qui mène à ses appartements. Je ne me fais pas prier quand il m'invite à entrer, hésitant à le bousculer sans scrupules avant de me reprendre – maman a éduqué un gentil garçon.

Mais maman est morte.

Alors je donne un coup d'épaule provocateur au roi qui ne rechigne pas, se contentant de fermer la porte comme si son fils ne venait pas de lui manquer ouvertement de respect.

— Laisse-moi faire, ordonne-t-il d'une voix étrangement douce en levant les mains vers mon torse.

Ma rage descend d'un cran quand je comprends qu'il s'apprête à retirer mon plastron. Je le laisse faire, feignant d'être obnubilé par la tapisserie qui inonde les murs de l'immense premier salon. Libéré comme un cheval à qui on aurait retiré son mors des plus sévères, je prends une grande inspiration et essuie mon torse du dos de la main.

— Assieds-toi.

Les ordres pleuvent. Ceux-là ne me dérangent pas. Je contourne la liseuse et prends place sur le fauteuil en prenant plaisir à étendre mes jambes devant moi. J'aime les appartements du roi. Ils sont mon enfance, les souvenirs de quelque chose qui m'a été volé. Et si pour nombreux d'entre nous ce genre de souvenirs seraient douloureux, ils sont pour moins le rappel constant de la nécessité de se battre. Certes, la guerre ne ramènera pas les regrettés, mais elle a au moins le mérite de faire naître le regret dans les yeux des coupables au moment où mon fer trifouille leurs entrailles.

— Veux-tu boire quelque chose ? s'enquit Yvris tout en se dirigeant vers le buffet bas, en face de moi.

— De l'eau.

MIRABILISWhere stories live. Discover now