Chapitre 2

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Mirabilis

    Le coyote jappe, un membre boiteux et les yeux vides dans lesquelles se reflète ma torche qui faiblit. L'animal est plus amoché que je le craignais. Son instinct de survie est si faible qu'il se contente de se ratatiner sur le sol, en faisant appel à ma bonté, espérant que je poursuive mon chemin. Son appel n'est que souffrance, et son cri – entre le hurlement de désespoir et la supplication de la mort – me rappelle tout ce que le royaume a perdu. J'attrape une flèche, la place sur mon arc que je bande, puis tire sans prendre le temps de réfléchir à la barbarie que m'inspire mon acte. Le coyote s'allonge dans une dernière prière vaine, le métal figé dans son crâne. Knight s'agite, prêt à décamper dès que je lui en donne l'ordre – ce que je fais sans attendre. Je laisse derrière moi le cadavre du malheureux qui ne le sera plus et prie la nature d'offrir sa viande à d'autres prédateurs afin qu'ils puissent enfin se repaître.

    Cette deuxième douzaine encore, la chasse se révèle infructueuse. N'ayant nul autre choix que de me diriger vers les bois de Nychta, je resserre ma cape et galope tranquillement en direction des bois mystérieux où la vie subsiste encore.

    La forêt se situe au nord du royaume d'Ilios. Elle est la frontière naturelle qui nous sépare de celui d'Afthonia et est pour cette seule raison, notre bien le plus précieux. Malgré le manque de matière première tel que le bois, les deux royaumes ont conclu un accord consistant à ne pas sacrifier les chênes et les sapins qui composent la forêt. Cet accord n'a jamais été aussi fragile qu'aujourd'hui, même s'il l'est chaque jour un peu plus.

    Quand l'éblouissement de minuit nous honore de sa présence, les soldats de chaque souverain se livrent un combat impétueux là où les deux royaumes se rencontrent, au milieu d'un chemin juste assez large pour deux chevaux côte à côte et le fer de l'épée de leur cavalier. Les cadavres qui jonchent le bois fertilisent les arbres et permettent sans doute de nourrir les prédateurs tels que les coyotes et les loups. Ils sont des hommes, des maris et des pères avant d'être la terre que mon cheval foule en faisant craquer leurs os sous ses sabots.

    D'aussi loin que je me souvienne, les royaumes d'Ilios et d'Afthonia ont toujours été en guerre. L'un reprochait à l'autre de détenir toutes les ressources nécessaires au développement d'un royaume – à savoir le bois et la pierre. Ilios et riche de ces matières ; les monts de Chrysos offrant au royaume l'abondance comme jamais Afthonia ne le connaîtra. Pour autant, ce n'est pas la pierre que jalousait le royaume gouverné par le roi Yvris, mais bien l'or. Certaines mines de Chrysos regorgent d'or, rendant notre royaume bien plus riche que celui du nord. Nous avons longtemps été fiers de détenir toute la richesse des royaumes, et nous nous sommes vantés d'être invincibles, capables d'acheter jusqu'aux fermiers qui nourrissaient le roi Yvris – nous avons eu tort. L'or n'est plus d'aucune utilité quand il n'y a plus rien à acheter.

    La malédiction de mère nous l'a rappelé bien vite, quand les céréales sont venues à manquer. Nous pouvions construire autant que nous voulions de forts et de tours pour défendre l'orée des bois, mais il nous était impossible de nourrir les travailleurs.. La plupart des mines sont désormais désaffectées, utilisées pour le stockage du peu de vivres qu'il nous reste encore.

    Il n'en va pas de même pour le royaume d'Afthonia qui a toujours su se targuer de posséder les terres les plus fertiles et les lacs et rivières qui regorgeaient des meilleurs poissons. Cette vérité ne nous concernait pas à l'époque où le soleil faisait pousser nos récoltes, mais les choses ont changé rapidement et même la chasse est devenue un domaine réservé aux meilleurs d'entre nous. Nous ne possédons ni moutons, brebis ou encore vaches et jalousons les fermes prospères des îles du nord — du domaine de Salakis aux coins de pêche de la retenue d'Emporia.

MIRABILISWhere stories live. Discover now