Chapitre 14

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Loukas


Réchauffé par le foyer qui brûle à ma gauche, j'attends avec une certaine impatience que le cortège d'Ilios fasse son apparition. Dans la zone de combat des bois de Nychta, l'obscurité ne joue pas en ma faveur et mon champ de vision ne s'étend pas à plus de vingt mètres – et encore, grâce aux foyers disposés de part et d'autre du large chemin. C'est Nox qui finit par m'alerter sur la présence d'étrangers en hennissant bruyamment. Je plisse les yeux, me concentre sur les tâches au loin et suis surpris de ne pas entendre le bruit continu des roues de la calèche sur la terre et les os des soldats morts récemment. Il n'y a pas de calèche ni d'escorte pompeuse qui encadre une femme en robe bouffante et jupons ridicules qui feraient d'elle un simple oignon prêt à être épluché. Il n'y a que des chevaux, une vingtaine – peut-être plus. Ils s'approchent, dessinant une formation bien étonnante pour un royaume qui offre sa princesse en pâture.

En première ligne, un cheval noir comme la nuit se détache de celle-ci. Son harnachement brille sous la lune et les flammes qui nous entourent. Ses yeux sont confiants et son tempérament calme, de ceux qui n'ont jamais connu la guerre. Sur son dos, un soldat peu habituel est assis.

Le soldat porte un corset brun sur un pull noir, le tout supportant un carquois où sont disposées bon nombre de flèches. Son arc repose sur sa cuisse droite, ferme et enveloppée dans un pantalon en velours aussi sombre que la nuit. Il n'y a de robe dans son accoutrement que celle de son cheval. Et si je pouvais douter de l'identité du soldat qui me fait face, son air résolu, son nez en trompette et ses cheveux joliment tressés ne peuvent me mentir. L'homme ne l'est plus quand une poitrine prend place sur son torse, dessinant une ombre gracieuse sur son corset. La femme devient puissance, cortège et princesse quand elle est à la tête de tous ceux qui n'auront jamais son rang, son charisme et sa résilience. Elle est belle dans la nuit – bien plus belle sans son costume bouffant et ridicule. Il est presque dommage de la tuer, sans doute l'aurai-je regretté si elle n'était pas le fruit maudit d'une putain d'enchanteresse. Pour l'heure, je n'aurais aucun scrupule à prendre sa tête détachée de son corps et la ramener à père. Je me souviendrais des traits fins de son visage en exhibant sa jolie frimousse à tous mes camarades lorsque j'entrerais, victorieux, dans l'enceinte du château.

— Prince d'Afthonia.

Ma résolution macabre prend fin quand sa voix trouble le silence. Je l'ai déjà entendu. C'était il y a quelques jours à peine. Pourtant, l'évidence me saute aux yeux. Sa voix, sa tenue, son aisance sur la selle et ses flèches dans ce carquois trop grand pour elle. Je l'imagine avec une capuche difforme et un air effrayé, un couteau de boucher dans sa main, accroupie devant le cadavre d'une biche et ses faons. Je ne connais pas deux femmes capables de parcourir les bois de Nychta alors que les combats font rage. Je ne connais pas deux femmes qui préfèrent les flèches aux poisons. Cette nuit-là, alors que tout me poussait à croire qu'elle appartenait à Ilios, je lui ai laissé la vie sauve. Je l'ai regardé partir, admirant la lueur de ma torche briller dans ses yeux, me demandant par quel miracle le feu pouvait danser avec tant d'intensité dans ses pupilles.

Peut-être est-ce un enchantement, un héritage de sa mère – entre le don et la malédiction. Ou peut-être est-ce tout simplement mon imagination ajoutée à la fatigue et le désespoir de combats qui s'éternisent.

Ce jour-là, j'ai rejoint mes hommes, sonné d'une rencontre hors du temps. J'ai tué avec rage, à la fois protecteur de mon peuple et destructeur du sien. Cette colère était noire, trahissant ma confusion sur la situation de nos royaumes respectifs. Alors que je me demandais pourquoi nous nous battions sans merci, la belle galopait au sud et rentrait bredouille de sa partie de chasse. 

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