Chapitre 13

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Mirabilis


Cela fait trois jours que l'horloger a guéri toutes les aiguilles du château. Midi a sonné quatre fois, minuit trois. Freud a crié la nuit. C'était comme hier, à moins qu'hier ne soit plus un repère suffisant pour qualifier la veille.

Toutes les nuits se ressemblent, les étoiles ne sont plus le guide de personne. Elles se contentent de briller et de se moquer, nous narguant de leur éternité qui éteindra l'humanité.

J'ai retenu mes larmes une bonne partie de la matinée. J'ai compté les minutes, imploré le temps de m'en laisser un peu plus, mais il filait et le froissement des aiguilles l'une contre l'autre me rappelait qu'une heure venait de passer. Une. Deux. Trois. Compterai-je les prétendants avec la même lassitude, usée de leurs paroles bien pensantes et le tintement de leurs armes d'apparat ?

Une. Deux. Trois larmes. Elles, au moins, ont réussi à s'échapper. Elles roulent sur ma joue tandis que j'arrive devant la grotte de Freud. Il est dix-huit heures, il m'en reste quatre avant de reprendre la route en direction du château, cinq avant de me diriger vers les bois de Nychta, six et je reverrai le prince d'Afthonia.

Je me laisse tomber en glissant sur ma selle et ne prends pas la peine d'ôter son harnachement à Knight, qui ne semble pas m'en tenir rigueur. Sans doute sent-il l'odeur des carottes, se montrant sage dans l'espoir d'en croquer quelques-unes.

La grotte est faiblement éclairée, à croire que des morts sont veillés. Les bougies sont éteintes, seules les guirlandes à l'entrée subsistent. Je pousse la porte et m'engouffre sans m'annoncer, craignant de déranger ou de faire preuve d'impolitesse dans un moment solennel.

Dedans, l'odeur est difficilement supportable. J'ignore de quoi il s'agit, mais j'ai la désagréable impression de me retrouver projetée au milieu des marais et de leurs effluves nauséabondes. Je remonte mon col jusqu'à mon nez, tousse et cherche une bougie à la hâte afin de trouver l'origine de cette drôle d'odeur. Au moment où je vais pour craquer une allumette, une flamme s'échappe de la brindille et lèche mon visage, puis de l'eau entre dans mes yeux, mes narines et mes vêtements.

— Milles coyotes, tu es folle !

Je reconnais les bras de Freud qui m'entourent. Il m'attrape par le poignet et me tire dans la pièce, m'entraînant avec assurance à droite et à gauche tout en slalomant entre des objets qui tombent sur notre passage. Trop surprise par ce qui vient de se produire, j'oublie de le saluer, de me présenter et même de pleurer. S'il n'avait pas été là, j'aurais sans doute provoqué un incendie, et j'aurais brûlé avec. Est-ce vraiment une si mauvaise chose ?

Freud ouvre la porte qui donne sur les cultures et me pousse à la hâte avant de fermer le loquet et de calfeutrer l'ouverture avec du papier mâché et quelques linges humides. Je le regarde faire, effarée de le voir plonger dans une folie qui n'était pas la sienne il y a quelques jours.

— Que fais-tu ?

— Je nous évite une mort certaine.

Derrière la porte, aucune menace ne semble nous attendre. Je n'ai croisé personne sur la route. Les soldats se reposent. Les loups boudent les montagnes où le gibier manque. Les coyotes logent dans les bois de Nychta.

— Quelqu'un te veut du mal ?

— Les sciences ! s'exclame-t-il en pointant la voûte de l'index. Ce gaz est terriblement inflammable.

Je me débarbouille pendant qu'il finit d'appliquer de multiples protections autour de la porte.

— J'ai réussi à reproduire ce gaz... dit Freud tout en reprenant sa respiration difficilement. Tu sais, celui des marais.

MIRABILISOù les histoires vivent. Découvrez maintenant