Chapitre 20

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Loukas


– Bonjour, princesse, je l'accueille d'un ton sarcastique.

    A peine arrivée à ma rencontre, encore essoufflée par sa cavalcade, la princesse me déteste. J'aurais pu me montrer agréable, mais son air renfrogné est un plaisir dont je refuse de me priver. En réalité, je suis bien trop heureux de sa présence et me sens obligé de contrebalancer en me donnant l'air d'un con arrogant. A priori, ce rôle me va à merveille.

— Bonsoir, peut-être ? j'ajoute, narquois. Après tout, ton peuple a jugé bon de rendre la nuit éternelle. Que dit-on à Ilios ? Bonne soirée ? Bonne nuit ?

    La princesse m'ignore, mettant pied à terre avec grâce. Elle ne relève même pas ma marque de familiarité, comme si se tutoiement n'avait rien d'étonnant. J'en suis déçu. J'y ai réfléchi longtemps, rêvant de la décontenancer et de l'entendre balbutier des reproches en rougissant.

    Pire encore, j'ai gominé mes cheveux à l'aide d'un produit à l'odeur insupportable. Pourquoi faire ? Répondre à la mission absurde qui m'a été donnée. Pourtant, quand mes yeux se posent sur la silhouette agitée de la femme qui noue les rênes de son cheval, ma coquetterie prend un sens tout autre. Je ne vaux pas mieux que ces abrutis qui se rendent à des bals, la chemise lavée et la queue lustrée.

    Agacé par l'évidence de mon changement de comportement, ma moquerie monte d'un cran, s'approchant de l'indécence :

— Je t'envoie de jolies lettres et tu me réponds de ton silence, d'autres m'auraient déjà ouvertes leurs cuisses si elles étaient à ta place.

    Enfin, la princesse s'intéresse à moi. Ce n'est certainement pas pour une bonne raison, mais son intérêt à le mérite d'exister. Elle époussette sa culotte, attrape son arc et me jette un regard aussi noir que la nuit. Les flammes du foyer que j'ai allumé plus tôt dansent dans ses yeux.

    Craignant son courroux, je resserre l'emprise sur mon épée et me lève. Peut-être suis-je allé trop loin.

— Bonsoir, Loukas.

    Mon prénom est une marque d'irrespect ponctuée de dégoût – sa bouche forme une grimace. Elle ne dit pas seulement mon nom, mais joue avec sa haine en laissant traîner paresseusement les syllabes. Il y a le Loukas que je suis, celui que je montre, celui que j'aimerai être – puis le sien. La pire version de tous ces Loukas est celle que son regard me renvoie. Elle a sifflé mon prénom et je me suis détesté. Son Loukas a l'air d'être un con.

— J'ai un ami qui se contente de dire nuit, reprend-t-elle, me tenant en joue de son arc. Elle n'est ni bonne, ni mauvaise. Elle se contente d'être là. Je trouve que cette formule est la bonne.

    Je hoche la tête, la main moite sur le manche de mon épée.

— Nuit, Mirabilis.

    Ma politesse exagérée ne calme pas la belle qui tend son arc un peu plus, menaçant mon crâne dangereusement. J'ignore ce qui a pu la rendre si remontée contre moi, mais si elle ne me le dit pas, je vais finir cloué au tronc par la pointe de sa flèche.

— Attends-tu de nos rencontres une quelconque faveur de ma part ? s'enquit-elle, criant presque.

    Son tutoiement est si naturel que je me trouve stupide à y prêter attention.

— Du fer.

— Autre chose ?

— Beaucoup de fer.

MIRABILISOnde histórias criam vida. Descubra agora