Chapitre 12

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Mirabilis


Malgré l'absence du chant des cors ce matin, je n'ai aucun mal à me réveiller à la première heure. J'ai dormi moins de trois heures sans en être réellement certaine. Ma montre à gousset semble être légèrement déréglée. Hier, l'éblouissement est survenu à minuit passé.

Les caprices d'un mécanisme sont bien la dernière de mes préoccupations. Si j'ai rejoint mon lit directement après mon arrivée au château, c'était uniquement pour ne pas planter une flèche dans le crâne de père. Ma haine était à son point culminant, plus grande encore que la famine qui sévit dans les royaumes.

J'ai été faible.

Le peuple d'Afthonia a vu en moi une femme faible bien plus qu'une héritière capable de gravir des montagnes. Je me suis pris les pieds dans ma robe un trop grand nombre de fois. J'ai descendu les marches de la calèche comme une dame se rendant à un bal. J'ai cherché mon carquois par réflexe, ne trouvant que les nœuds trop serrés de mon corset. Je l'ai vu, l'héritier. La bête. Je l'ai vu sourire sous son masque. Je l'ai vu se moquer de celle qui lui faisait face, passant plus de temps à reluquer ma poitrine comprimée sous le tissu que mon expression aguerrie.

Il ressemblait à un animal. A moitié nu sous son plastron, il tenait bien plus de la bête que de l'homme et son petit numéro a bien plus fonctionné que le mien.

Nos hommes ont peur. Ils savent que nous ne gagnerons pas ce combat, que les négociations ne peuvent décemment être menées par une femme fragile qui ne demande qu'à être secourue. Ils m'accompagnent et me protègent seulement parce que père leur en a donné l'ordre, mais ils me laisseraient mourir sous la lame de la bête d'Afthonia si rien ne leur indiquait le contraire.

Un jour, ils me laisseront seule dans les bois de Nychta au milieu des bêtes. Et si je ne crains pas les loups ni les coyotes, je n'oublie pas qu'une bête rôde et qu'elle porte un plastron capable de la protéger de mes flèches. 

L'horloge en face de moi affiche six heures. Il n'y a aucun bruit dans les couloirs, les domestiques dorment encore. Je sais qu'il n'en est pas de même pour le roi. Afélis ne dort que très peu, il a beau dire que la nuit éternelle perturbe son sommeil, personne ne croit en ses excuses faiblardes. Afélis ne dort pas car il pense trop, tout comme nous autres. Il pense à la mort qui attend ses hommes chaque deuxième douzaine, à celle qui l'attend quand plus aucun d'entre eux ne saura tenir demain, trop affamés pour se battre.

Je me lève en sursaut, décidant que l'heure n'est pas au repos. Prenant tout juste la peine d'enfiler des bas en laine pour que mes pieds ne souffrent pas du froid, je rejette l'idée de m'habiller autrement qu'en chemise de nuit. Je n'ai pas le temps de m'apprêter et refuse de prendre le temps de le faire. Nous ne gagnerons rien à l'aide de jupons.

Je le regrette immédiatement quand le froid qui règne dans le couloir vient me saisir jusqu'aux os. Alors je me mets à courir et descends les escaliers en colimaçons en prenant soin de ne pas glisser. Quelques volées de marches plus tard, je prends la direction de la salle où le bal a été donné, encouragée par les voix qui me parviennent depuis la grande salle – celle de Thibault et de père.

— Mira ? s'étonne Afélis en me voyant dans cet accoutrement, si tôt.

— Princesse, ajoute platement Thibault avant de baisser la tête vers le sol, non sans avoir préalablement lorgner sur mes seins qui jouent de la transparence de mon vêtement.

La tête haute, je garde contenance en avançant vers père, les poings serrés et la chair de poule gagnant mes avant-bras.

Assis sur une des chaises des longues tablées, Afélis s'amuse avec la flamme vacillante d'une bougie. La faible lumière fait ressortir ses cernes et les rides qui vieillissent son visage chaque jour un peu plus. Peut-être n'a-t-il pas dormi du tout, préférant même ma flèche dans son crâne que la guerre sans issue qui nous attend désormais.

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