Chapitre 3

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Mirabilis


La salle de réception du château m'intimide depuis mon plus jeune âge. Je n'osais y mettre les pieds sans la présence de mes parents ou d'un adulte de confiance. Je me cachais derrière les jupes des femmes ou sous la cape de mon père, dévorant des yeux les lustres gigantesques qui pendaient au plafond en me demandant par quel miracle ils pouvaient être retenus ainsi entre ciel et terre. Chaque soir, les domestiques actionnaient les poulies et faisaient descendre les lustres à hauteur d'homme afin d'y disposer des bougies par centaines. Je les regardais gratter la cire de la veille, émerveillée de constater que la bougie n'était plus qu'un amas de petites paillettes blanches.

A l'époque, quand la nuit venait nous rendre visite, je n'avais de cesse d'admirer les lustres scintiller dans la salle. Les hommes courtisaient les femmes, les femmes vantaient les méritent de leur couturières et les jeunes filles rêvaient de belles toilettes tandis que je craignais que la cire chaude ne s'échappe de son réceptacle, quittant pour toujours le confort de sa bougie mère pour le marbre froid d'une pièce qui n'était que paraître et bourgeoisie.

Aujourd'hui, le côté pratique l'emporte sur l'esthétique. Les lustres prennent la poussière, les bals ne sont plus organisés et les bougies se consument en permanence sur les grandes tables en chêne et dans les alcôves qui encerclent la salle. La cire s'amoncelle sur la pierre, les domestiques ne se montrent plus aussi tatillons qu'ils l'étaient à l'époque. À quoi bon ? Personne n'a le cœur à la fête. Les festins sont prohibés, les vivres manquent et les bougies ne cessent jamais de brûler.

Je ne suis plus intimidée par cette salle. Je l'ai tout simplement en horreur. Aussi inutile qu'un jour sans soleil, je trouve ridicule qu'on puisse entretenir un tel endroit, tout autant que je ne comprends pas la raison de ma présence ici aux côtés de mon père. Pourtant, je garde le silence. Non pas que ce soit un trait de ma personnalité, mais bien la preuve que je connais suffisamment le roi pour savoir qu'il y a une raison à chacune de ses actions. Avec lui, le silence est toujours suivi d'un ton grave et de nouvelles peu réjouissantes — puis d'un autre silence qui ne laisse place à aucune négociation.

— Nous faisions des bals, lâche-t-il au milieu de l'allée, le regard rivé sur le trône qui nous fait face.

Une domestique lève la tête vers le roi, baisse immédiatement les yeux et s'empresse de quitter la salle en emportant les restes d'une bougie arrivée en fin de vie.

— Nous en faisions toutes les semaines pour fêter la trêve du septième jour. Les bourgeois se mêlaient aux paysans en buvant jusqu'à plus soif, les mères grondaient leurs filles qui se comportaient comme des gaillards, un verre de trop à la main.

Je me souviens de ces moments hors du temps où la guerre n'était plus. C'était un accord oral fragile, une promesse faite entre deux rois fatigués de voir leurs soldats mourir. Ils avaient alors décidé de consacrer un jour au repos et à la fête pour remotiver leurs troupes. C'est ainsi que le septième jour est devenu sacré et que cette habitude a pris un caractère impérissable.

Sur la table, la flamme d'une bougie crachote avant de reprendre de plus belle, tout comme mon père :

— J'aimais regarder rire mon royaume. Je ne me lassais jamais de le faire. Le lendemain, un jour sans combat nous attendait. Aucune perte ne serait à déplorer. J'ai longtemps cru que c'était la plus belle chose dans ce monde. 

— Il n'y a rien de plus beau que la paix.

Père s'arrête quelques pas devant le trône avant de se retourner et me fixer, l'air grave. Bien que le silence précède toujours les conversations désagréables, il est souvent entrecoupé de jacasseries aussi inutiles que moralisatrices. Plus elles sont longues, plus la suite promet d'être terrible. Et si j'ai l'habitude d'entendre père déblatérer avant d'en venir au fait, jamais je ne l'ai entendu parler d'un sujet aussi futile que celui des bals. La situation est bien plus grave que je le pensais.

MIRABILISWhere stories live. Discover now