𝙿𝚛𝚘𝚕𝚘𝚐𝚞𝚎

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Le garçon ouvre les yeux.

Depuis son lit, il tourne son regard vers la faible lumière qui traverse le rideau de mousseline devant la fenêtre. Il est encore tôt, sans doute, et pendant un instant il se fait surprendre par le calme : il écoute attentivement, détaillant brièvement le plafond en bois, puis pousse sa concentration au-delà des murs.

Quelques animaux, des pas étouffés dans la neige, le bois craquant et grinçant de la cabane, et le crépitement des faibles braises encore dans la cheminée.

Dans un soupir, le garçon se redresse. Le sommier du lit gémit sous ses fesses, et l'épais matelas en laine se tord pour supporter son poids alors qu'il se libère des épaisses couvertures en fourrure. Ses pieds nus se posent sur le plancher rugueux. Son nez se fronce sous l'odeur du bois brûlé et des cendres dans l'âtre.

Le garçon inspire, force ses poumons à se remplir.

Quand il expire, il jette un coup d'œil au calendrier qu'il a fait lui-même avec les feuilles qui restaient et remarque qu'il ne fait pas assez froid pour qu'une brume s'échappe de ses lèvres. Il demeure un moment figé face au cercle rouge qui entoure la date d'aujourd'hui.

La veille, il a peiné à abandonner. Il a peiné à retourner au lit. Il a, pour une fois, peiné à écouter les conseils que son père lui a toujours donnés.

Sois le plus humain possible. Dors et mange, lave-toi, habille-toi. Écoute, bouge. Si tu te laisses prendre, le temps fera de toi un fantôme et tu ne seras plus que l'une de ses statues.

Le garçon va au lit toutes les nuits. Il mange au moins une fois par jour. Il allume le feu dans la cheminée, répare la cabane quand le bois se fragilise, s'habille avec les mêmes tissus depuis des années. Il chasse ce que la forêt lui offre, cuisine grâce à la chaleur des braises, essuie toujours le sang au coin de ses lèvres.

Il obéit. Toujours.

Mais aujourd'hui, c'est peut-être différent.

Sans penser à se changer, le garçon marche lentement vers la porte. Il ne tend pas la main vers la poignée. Celle-ci s'ouvre sous son regard pour le laisser passer. Ses pieds nus rencontrent la neige épaisse, froide entre ses orteils, craquante sous ses talons. Il avance, quelques mètres à peine, laissant les derniers flocons de la nuit tomber doucement dans ses cheveux alors que les nuages s'écartent enfin.

Le vent caresse sa peau. L'automne enneigé de la forêt reste immobile.

Arrêté, le regard tourné vers l'orée où son père a disparu précisément une année plus tôt, le garçon observe. Il écoute attentivement, encore une fois.

Son regard sombre s'éclaire. Son ouïe s'étire.

De longues minutes passent. Les arbres s'amusent dans une lente danse, et le vent lui rapporte à peine les bruits habituels de la ville la plus proche, à plusieurs dizaines de vallées de là.

Le garçon écoute. Il entend les animaux, la meute de loups, les cerfs et les biches, les chevreuils, les sangliers. L'ours, le manteau blanc, n'est pas si loin aujourd'hui. Quelques arbres se sont écroulés dans le lac à l'est. A l'ouest, la falaise perd encore quelques rochers.

Quand il atteint, dans son esprit, la limite de la forêt, le garçon expire.

Dans sa poitrine quelque chose se serre.

Car il n'y a rien. Encore une fois.

Et aujourd'hui, il sait enfin ce que cela signifie.

Son père ne reviendra plus.

Fangs and RosesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant