Ni cœur, Ni âme (1)

Chapitre 4 : Pade, le dormeur

Après un long sommeil qui n'avait rien de réparateur, je me tortille pour me réchauffer, m'enroule dans mon plaid et me ressasse le dîner de ce soir. Qu'est-ce qui m'a pris de dire à la nouvelle qu'elle n'avait pas le droit d'emprunter un de mes oreillers pour dormir? Je n'ai pas besoin de mes vingt-sept coussins, la moitié sont sur le sol et le lit de Nate est très dur. Elle serait bien mieux avec un coussin mais on nous a formellement interdit de la toucher ou de lui faire plaisir.
J'ai été nul avec elle, elle me rend nerveux. Son visage déçu hante mes pensées. Elle n'a pas donné son prénom, Tate l'appelle Ma jolie, Dave l'appelle Rayon de soleil, je ne sais même pas comment lui présenter mes excuses. Je pourrais lui amener un oreiller, discrètement et demain je lui ferai des pancakes à la pêche. Kane m'a dit qu'elle les appréciait particulièrement. Il en a cueilli une dizaine avant de se coucher pour qu'elle puisse les manger au petit-déjeuner. Elle a failli faire un arrêt cardiaque quand il a déposé une assiette devant elle.
Je lui ai prêté un somnifère pour qu'elle puisse dormir, Kane a tendance à impressionner les premiers jours, elle finira par se faire à lui. Elle se braque en sa présence et il s'amuse d'elle. Dormir a été pour elle un moyen de le fuir.
Je branche mon téléphone et joue un peu quand la porte d'entrée grince. Nate doit se trouver en bonne compagnie comme après chaque soirée chez les lycanthropes. Je continue ma partie de cartes en ligne quand j'entends les pleurs de la nouvelle dans son lit. Je sélectionne un polochon pour elle puis ouvre ma porte. Tate pénètre dans sa chambre me coupant dans mon élan.
L'oreiller retrouve le sol alors que j'aperçois une jeune femme à genoux devant le plus vieux d'entre nous. Elle le prend en bouche alors qu'il guide ses mouvements en serrant fort une poignée de cheveux tressés de sa compagne pour la nuit. Le bruit de succion fait écho dans toute la pièce, je stagne contre le mur alors que mon sexe durcit dans mon jogging. Ce n'est pas la première fois que j'assiste à ce genre de scène et c'est toujours aussi excitant à regarder.
Nate bascule sa tête en arrière, frôlant l'orgasme lorsqu'il me remarque. Sa partenaire me voit à son tour, elle extirpe la bite dressée de sa bouche et commence à se relever. L'homme aux yeux bleu azur, l'empêche de s'en aller, il la positionne sur ses jambes et lui dévore les seins.
— Il nous regarde, Nate !
Il s'en moque complètement. Il sait que son physique est attirant mais il a aussi conscience de la beauté de la lycan sur ses jambes. Il partage les belles choses avec les autres qu'il soit en plein acte ou non.
— Tu préfères qu'il regarde ou qu'il participe ? Aucun ne me dérange. Avoue-t-il en mordillant les tétons de la jolie jeune femme.
Je m'assoie dans le canapé en face d'eux, elle me détaille puis se fait pénétrer. Elle remue, prend son pied alors que l'orphelin la maintient contre lui. Il la porte, pose son dos sur la table derrière lui pour donner de l'ampleur à ses mouvements. Il jouit puis la laisse tomber de fatigue. J'ai une trique d'enfer, elle se dépêche de se rhabiller puis demande à Nate quand est-ce qu'ils se reverront. Il lui rit au nez puis vient s'allonger dans le fauteuil.
— C'était sympa, adios.
— Tu es un enfoiré, Nate. Hurle-t-elle avant de lui lancer des tomates. Je vais le dire aux autres.
— Fais-toi plaisir, dis leur à quel point je suis un bon coup, chérie.
Elle claque la porte alors que je tire sur mon jogging pour replacer mon érection.
— L'une de ses filles finira par te tuer.
— Elles peuvent toujours essayer, ce n'est pas un problème. Comment va April ?
April, c'est donc comme ça qu'elle se prénomme. Je croyais qu'elle possédait un nom de déesse ou d'ange mais elle a simplement le nom d'un personnage de Grey's anatomy.
— Kane et elle s'aiment autant que le Joker et Batman. Elle a visité la maison et je crois que Tate a le béguin pour elle. Oliver l'adore, elle a pris un somnifère mais ils ne semblent pas efficace.
— J'ai entendu ça, Tate devrait gérer, il connaît les cauchemars et les traumatismes.
— Il lui a donné de l'alcool, tu n'as pas peur qu'il aille plus loin avec elle. Elle lui plaît et ils se ressemblent.
— Je lui parlerai demain mais ne t'en fais pas. Elle sait ce qu'elle veut et de qui elle peut l'obtenir. Il ne faut pas lui faire confiance.
Tate sort de la chambre d'April avec une bague, il ferme la porte puis s'affale dans le canapé.
— Parce que ce n'est pas une simple femme mais la salope du palais que Black nous a amené, je me trompe ? C'est la princesse April que le chasseur a amené chez nous ? Interroge Tate, faisant tourner la bague sur la table.
Le silence de Nate ne fait que confirmer les doutes du plus joyeux d'entre nous. Ma mâchoire se contracte, l'air qui entre dans mes poumons devient bouillant, il nous a caché un détail très important au sujet de la fille que nous retenons captive. Il veut nous faire tuer.
— Tu bandes, Pade. Il t'a offert un spectacle intéressant ?
— Tu bandes aussi mais ce n'est pas le sujet. On peut revenir au fait qu'on pourrait se faire tuer pour avoir une princesse enfermée chez nous.
— J'imagine ce que ça fait d'avoir ses lèvres pulpeuses sur mon gland, ce ne sera qu'un crime a ajouter dans ma condamnation à mort pour être le ravisseur d'une figure royale. Sérieusement, on va se faire buter pour ça.
— Non. La princesse a déjà fugué plusieurs fois du palais, ils vont  patienter un mois avant de déclarer sa disparition. Elle ne respecte pas les règles du jeu. Affirme Kane qui lance un dossier très épais sur la table. Il y a la liste de toutes ses arrestations, toutes rumeurs à ses propos, le nombre d'hommes qu'elle a envoyés dans le couloir de la mort et le nom de ses partenaires connus. Si l'un de nous la touche, on est foutu donc vous enfermez vos queues derrière vos braguettes.
Je parcours son dossier en vitesse, April a été arrêté pour fugue et utilisation de faux papiers, rien de très grave. La liste des gens que le roi a exécutée sous ses conseils par contre fait la taille d'un bras. La moitié ont été décapitées pour trahison envers la couronne et étaient des gardiens. Je retrouve d'ailleurs leur noms dans la liste des partenaires de la princesse. Elle a fait tuer un bon quart des personnes qui l'ont touché, elle a plus de pouvoir que nous tous réunis. Je me racle la gorge alors que Nate attrape les pages de rumeurs.
— La princesse April serait la meilleure organisatrice d'orgie des sept royaumes. Débute-t-il alors qu'il ramasse les tomates au sol. Elle aurait couché avec plus de dix hommes en une soirée.
— Débridée, dis-donc. Commente Dave en se mouchant pour la quarantième fois ce soir. Elle est tentatrice, les rumeurs font scandale pour décrédibiliser les gens. La moitié doivent être infondées.
— C'est un pute, pourquoi est-ce que tu la défends ? On la surnomme la salope du palais, il y a une raison à ça. Soupire Lane, sûrement jaloux de l'attention que Dave porte à April. Elle n'est pas à défendre et je ne la toucherai même pas avec un bâton.
— Elle a goûté plus de queues que toi cette année, tu l'envies. J'attaque en remettant le dossier en place. Elle a ce que tu n'as pas, des hommes.
— Les gars ! S'exclame le faux blond.
— La princesse aurait déjà sucé un type pour avoir un piercing génital gratuit. Lit Nate mort de rire. Même les putes au bordel ont meilleures réputations qu'elle.
— Nate !
— Tu crois que Black veut se la faire ?
— Elle ne le sentirais pas passer, sa chatte doit être distendue.
Je lève les yeux au ciel, réagir ne servirait à rien.
Tout à coup, j'aperçois du coin de l'œil, la princesse recroquevillée contre le mur, les larmes déformant ses fossettes. J'examine les gars mais seul Kane a l'air de l'avoir remarqué. Il a tenté de nous signaler sa présence mais on a omis de l'écouter. Je ravale ma salive alors que mon ventre se tord.
— Stop ! J'ordonne alors qu'ils poursuivent leur lecture. Les gars !
— La princesse aurait essayé de tuer son père lors d'un bal au royaume des ombres alors qu'elle n'avait que quatorze ans.
— Tu as rangé les armes, se moque Tate. Elle pourrait nous tuer.
À la flamme que je vois briller dans son oreille, je crois qu'elle en serait capable. On échange un regard, la flamme diminue, elle éponge sa larme avec sa manche et retourne se coucher. Les lattes du lit grincent quand elle monte dedans. Les garçons arrêtent alors de parler.
— Vous êtes des abrutis.
Je suis d'accord avec Kane, ils n'ont aucune pitié.
— Qu'elle chiale, elle pissera moins comme disait ma mère. S'agace Nate qui pour se défouler descend à la cave. Si l'un de vous l'approche, je l'égorge.
— Au lit tout le monde et on suit les règles de Black. Pas de liens amicaux avec elle, pas de branlette en pensant à elle, pas d'alcool et interdiction de sortir d'ici. Si quelqu'un la voit, on est mort.
— Est-ce qu'on a au moins le droit de lui parler ou même ça nous est interdit ?
— Vingt minutes avec un chaperon, uniquement pour toi. Les autres au lit.
— Il est à peine deux heures du matin.
— Est-ce que j'ai l'air d'en avoir quelque chose à foutre ? Au lit !
Kane n'est pas le plus vieux de la maison, il est le plus autoritaire, tout le monde lui obéit alors que j'arrange les papiers pour les entasser dans la chemise en carton. Je baille, épuisé et prends une profonde inspiration avant de me remplir un verre avec des glaçons.
— Tu sais pourquoi je t'ai autorisé toi et pas les autres ?
Je sais exactement pourquoi j'ai le privilège de pouvoir aller la voir.
— Tu étais le garçon au dos brûlé et elle est la princesse à la sexualité débridée.
Je croque dans un glaçon, je n'ai pas besoin qu'il me remémore ces passages de ma vie. Mon histoire est gravée à jamais dans ma peau.
— Vous avez un point commun et c'est un avantage pour nous.
— L'humiliation n'a rien d'un point commun, mes amis m'ont manipulé et détruits. Elle a subi les jugements d'inconnus et a juste le cœur brisé. Elle s'en remettra comme tout le monde.
Tout le monde dans sa vie doit se confronter au regard des autres. Elle l'a vécu de façon directe, la pire des manières de vivre ça mais elle en ressortira grandi.
— Elle n'a aucun repère, tu devras être son repère.
— Et si elle ne veut pas de moi ?
Kane vide son verre de rhum et vole une bouteille de vin dans une des plaques de Tate. Il essuie trois verres et les remplis à moitié avant d'en pousser un vers moi.
— Ce n'est pas une option. Soit elle va accepter le gentil orphelin qui lui ressemble. Soit elle va accepter l'enfoiré qui n'a rien à voir avec elle.
— Nate dira non.
— Je ne pensais pas à Nate, il lui ressemble beaucoup trop pour que ça fonctionne. Tu es le seul espoir pour qu'elle ne vive pas son emprisonnement comme une torture.
Être enfermé dans un lieu inconnu, se faire juger par des étrangers et ne pas pouvoir répliquer serait un châtiment pour n'importe qui. À sa place, j'aurais déjà essayé de fuir, je suis surpris qu'elle ne l'ait pas encore fait.
— Vous avez scellé la fenêtre de la chambre ?
— On n'est pas des débutants, c'est la troisième que nous recevons en cinq ans. Va la voir, donne-lui ce verre de vin et un de tes somnifères. Je vais me brosser les dents dans ta salle de bain pendant que tu la consoles. 
Rien n'est privé dans cette maison. Je ne discute pas les ordres, je vais récupérer un cachet dans mon stock et toque à sa porte. Elle fait la sourde oreille mais je ne peux pas me permettre de désobéir. Je me faufile dans sa chambre, pose l'alcool et le somnifère sur le meuble. Elle se replie sur elle-même, se tourne pour ne pas me voir et couvre sa tête avec la couette.
— Va-t-en, s'il-te-plaît.
— Princesse, raconte-moi comment tu es arrivé ici ?
Elle enfonce sa tête dans son oreiller, une princesse dans un lit devrait être sans défaut. April a les cheveux en bataille, le sweat-shirt sur son dos à une manche tendue et pas l'autre. En plus de ça, elle étale son mascara et son rouge à lèvres sur la housse blanche du coussin. Elle n'a rien d'une princesse de conte de fée, elle mâchouille une mèche de ses cheveux qu'elle décale avant de pincer ses paupières.
— La salope du palais, on élimine mon titre de princesse à cause de la réputation que je me suis forgée. Fais comme les autres, méprise moi, espère et laisse moi partir. J'espérais que personne ne sache, ça aurait été plus simple de vous décevoir.
Elle ne veut pas que l'on voit la couronne mais la personne qui se cache derrière. Elle va connaître un jour le pouvoir qu'elle détient par son titre. Elle n'a pas idée du cadeau que sa naissance lui a donné.
— Je t'ai ramené du vin et un somnifère.
— Non, merci.
Sa réticence ne me choque pas, je ne l'accepterai pas non plus si une personne qui m'a critiqué m'offrait un verre. Ses réactions ressemblent peu à peu à celle de la précédente, bientôt ce sera la tentative de fuite et Nate la cueillera puis la punira de la même manière que la première. Elles reproduisent toutes le même schéma, elle en a juste mis une en plus qui consiste à se considérer comme à sa place. On n'est pas des gentils, elle ne devait pas l'apprendre de cette manière mais au moins c'est fait.
— Un conseil, ne pleure jamais devant Nate. Il te donnerait une raison de ...
— Peu importe.
— April, chérie, écoute-moi.
— Pade, c'est ça ton nom ? Je m'en fiche mais sache que j'ai très envie de t'étouffer avec un oreiller. Ça m'aiderait à dormir si tu entres dans un sommeil éternel.
— Tu t'es trompé d'histoire chérie, dans celle-ci il n'y a pas de baiser magique qui te sauve.
— Si tu le dis.
— J'essaie désespérément de t'aider.
— Je n'ai pas besoin d'aide, je sais me débrouiller.
Elle bouche ses oreilles avec ses mains et j'abandonne. Je retourne dans ma chambre puis hurle dans mon oreiller. C'est pour ça qu'aucune femme ne vit dans cette maison, elles sont beaucoup trop compliquées. Elles n'en font qu'à leurs têtes. Je m'étale de tout mon long sous les couvertures en enlaçant ma peluche de fée, c'est le seul objet qu'il me reste de ma famille.
— Merci de tes efforts.
— J'ai été inutile.
— Non, elle t'a écouté. C'est déjà beaucoup.
— Elle est une véritable diablesse.
— C'est souvent le cas des princesses sauf qu'elle ne le cache pas.
— Kane, est-ce que Black va la tuer ?
— Probablement, il les garde rarement en vie.
— Elle est bien trop belle pour mourir des mains du chasseur.
— La beauté n'a rien à voir, ce n'est qu'une partie de ce pour quoi le monde voudrait la posséder. Si elle te plaît, garde tes distances.
— Toi aussi, Kane. Elle te plaît autant qu'à moi voire même plus.
Il s'accroupit, empile mes oreillers à côté du meuble et réunit mes peluches dans mon placard. Son silence le trahit, c'est une preuve de son attraction envers April.
— Ça ne va pas finir comme la dernière fois. N'est-ce pas ?
— Pourquoi ça finirait comme la dernière fois ?
— Elle ressemble à tu-sais-qui en brune.
— Elles ne se ressemblent pas du tout, ne t'en fais pas, elle ne finira pas comme elle. Tu avais quinze ans quand elle est morte donc oublie-la. Tu n'aurais jamais dû être là.
— Mes frères se battaient pour une femme, je devais être là pour vous empêcher de vous entretuez.
Aucun d'eux n'est mort, leurs cœurs sont devenus des pierres impénétrables et leurs mains sont devenues celles de tueurs. Kane s'assoit au bord de mon lit, il me borde et éteint la lumière de la chambre.
— Ne t'inquiète pas pour Nate et moi, on est majeur et vacciné, April n'aura aucun impact sur nous. Tu es le plus jeune d'entre nous, tu dois te concentrer sur tes études ou fais un stage dans l'armée comme Tate. Ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas.
— Une femme vit chez nous, une princesse qui pourrait nous faire assassiner, ça me regarde.
— Tu devrais te préoccuper de choses plus importantes que le boulot de tes frères. Tu as eu ton diplôme d'étude secondaire, tu pourrais t'inscrire à la fac et draguer des étudiantes ou étudiants.
— Et si je veux participer à l'affaire familiale ?
Il presse ses lèvres sur mon front et met en route ma veilleuse.
— Ce n'est pas pour toi, bonne nuit Pade.
— Bonne nuit, Kane.
Il quitte la pièce, je place mon casque sur mes oreilles et mets de la musique pour m'endormir. Les vibrations des basses envoient un signal à mon cerveau et me repose. Je somnole puis m'endors en regardant le vent remuer les feuilles du grand chêne.