Chapitre 12 : April, la princesse

1 0 0
                                    

Un mélange d'excitation et de peur se propage dans mes veines alors que les lueurs du jour me vivifient. Si j'avais écouté en cours, je pourrais peut-être connaître l'heure grâce à la position du soleil mais je me contenterai de lire l'heure sur l'horloge en face de moi. Je m'étire, craque ma nuque et agite mes cheveux pour mieux rouler de l'autre côté du lit. Le coussin rempli de plumes de Kane s'adapte à la perfection à la forme de mon crâne. Son absence me pétrifie mais j'aime sentir la chaleur du monde sur mon visage. Encore une bonne journée avec plus de liberté qu'au palais. Ils ne l'ont pas encore imprimé mais j'aime cette maison. L'ambiance, les commérages, les histoires de garçons, la nourriture et les séries à la télévision.
Oliver, ce magnifique toutou, se recroqueville dans mon dos. Il me tient chaud et apprécie les gratouilles que je lui procure. Je n'ai jamais autant aimé faire la grasse matinée. Malgré mon mal de crâne, je m'y appuie pour observer les miroirs au plafond. Kane avait la volonté d'agrandir la pièce ou souhaitait-il avoir deux points de vue différents sur ce qu'il fait dans son lit?
— Oli, aux pieds. ordonne le faux-blond à son chien qui remue à peine la truffe. Y'a des croquettes sur le balcon.
Il part et se tourne dans le lit pour tourner le dos a l'homme gigantesque qui se présente à ma porte. Je ne me suis pas attardée à le détailler. Il est bien tôt pour voir un homme dans sa tenue d'Adam. II secoue sa tête, jetant des gouttes d'eau gelée sur ma peau.
— Bonjour, p'tit coeur.
— Trop tôt pour parler, je veux faire dodo.
— Tu as encore deux heures pour dormir, Nate a la gueule de bois.
Je me doute bien, il s'est pratiquement évanoui sur son matelas hier. Il a vidé les bouteilles du bar pour en venir à cela.
— Mets des vêtements.
— J'ai une serviette.
Que tient avec ses hanches par miracle. Ce n'est pas un habit, uniquement un accessoire.
— Tu abuses de mon temps, Kane. Habille-toi, je n'ai aucune envie de te voir à poil.
— C'est un affreux mensonge, tu rêves de voir sous cette serviette.
— Pourquoi? Quelque chose en dessous devrait t'intéresser ? À moins que tu aies une tablette de chocolat belge, ça ne me fait ni chaud ni froid.
— Désolé, j'ai juste des pêches et du thé à la mangue. Dit-il faisant tomber sa serviette d'un coup de hanche sur le côté.
Il y a un boxer noir sous son drap de bain, il dépose une canette et les deux fruits juteux sur sa table de nuit.
— Le chocolat coûte bien trop cher, tu peux croquer dans une pêche, j'ai une photo à faire.
Je grimace et le flash vient brouiller ma vue. Je lui présente mon majeur bien dressé, je ferme les yeux et réfléchis au rêve que j'ai fait la nuit dernière. Ça commençait à peu près de la même façon.
Black, mon kidnappeur, qui entre dans la chambre de Nate, son visage à moitié caché par un masque noir et l'autre moitié taché de sang séché. Sa langue dégoûtante qui passe sur ses dents lisses et acérées. Je me blottis dans ma couette et il apparaît à côté de moi plantant ses crocs dans ma chair. Il coupe ma chair avec sa bouche et déchire ma peau jusqu'à ce que mon matelas soit couvert de mon sang.
Oublier ce cauchemar est un rêve. Mon cœur bat dans ma gorge, il a dû remonter quand j'ai ressenti les picotements dans mon bras. Une décharge parcourt ma colonne vertébrale, je me tends immédiatement et fais craquer mon dos en m'accrochant au dossier du lit.
— J'ai des vêtements pour toi, ils sont arrivés ce matin. Tu arrêteras de faire tourner la tête de mes frères.
— Ou la tienne.
— Même si je voulais te prendre, je ne le ferai pas. Nate et moi ne mélangeons pas travail et plaisir.
Je pourrais le persuader de se laisser emporter par ses pulsions mais je ne veux pas utiliser mon temps en vain. Tate serait bien plus facile à manipuler.
Le sexe me manque ! Il me faut une bite, même des doigts me suffiraient.
— Nate va me tuer pour son plaisir donc votre travail est nul.
— Mais il rapporte, si tu gagnais deux millions pour retenir la fille d'un connard.
Moi non plus je n'aime pas mon père mais pour des raisons plus personnelles. Il se volatilise pour me ramener deux grosses boîtes en carton avec le nom d'un site écrit en gras dessus. Je soulève le couvercle, trois t-shirts, deux pantalons, une jupe et deux sweat-shirts à capuche noir. Dans la deuxième, il y a une robe, quatre ensembles de sous-vêtements, trois paires de chaussettes et deux pyjamas, un avec un short et l'autre avec un pantalon à carreaux.
— Ça te va ?
— Ça t'a couté combien ? Je te rembourserai si je ne crèves pas avant de retourner au château.
— J'en ai marre que tu te trémousses cul-nu dans la chambre de Nate.
— Pourquoi? J'ai travaillé pour avoir un cul pareil, tu ne le trouves pas beau? Faut que je reprenne le sport.
— Ton cul est parfait, ce n'est pas le problème. La douche est libre, tu peux te doucher et t'habiller.
Ou sinon, je vais me baigner dans l'eau de la cascade puisque sa fenêtre n'est pas très bien cadenassée. Il faudrait juste qu'il sorte dix minutes pour que je puisse sauter par la fenêtre, me réceptionner sur les salades et trottiner jusqu'à l'eau.
Je suis sage comme une image avec un sourire ,aussi faux que le nez de Lane, au visage. Je hoche la tête à l'instar des figurines de baseball et il avale cette image que je lui donne. Il s'en va, je réalise la prouesse d'ouvrir la fenêtre sans faire un bruit et me contorsionne pour la franchir.
Je chute dans la terre fertile qui les nourris tous les jours. Je pensais pouvoir atterrir sur mes jambes mais elles auraient sûrement cassé. Le vent me porte jusqu'à l'eau, la liberté a une odeur sucrée, je danse avec une colombe avant de tremper mes oreilles dans l'eau tiède. J'avance, l'eau m'arrive rapidement aux cuisses, au nombril, à la poitrine.
Ma peur de l'eau reste en berne du moment que mes pieds touchent la terre ferme. J'ai l'impression de profiter d'un bain géant et très tiède. Le t-shirt épouse mes formes et mon corps entier se détend.
Je marche de gauche à droite, admirant l'étendue de la forêt, la beauté et la douceur de la nature. Un loup noir avance vers l'eau, il boit l'eau sans me quitter un seul instant des yeux.
— Comment tu t'appelles?
Crow, tu ne devrais pas être ici. Nate va être furieux, résonne une voix rauque dans ma tête.
— Sympa, je n'ai jamais communiqué avec un animal avant aujourd'hui.
Je suis humain du moins à moitié donc ne me traite pas d'animal. Tu ne devrais pas être là, vraiment.
— Je ne suis pas à une tentive de meurtre près.
Je dois y aller, ravi de t'avoir rencontré Altesse.
Il court dans la forêt alors que je m'assois sur les cailloux pour bronzer. Je bascule ma tête en arrière et m'amuse à sentir l'eau caresser mes orteils.
Le soleil frappe ma peau, je rêvasse, imaginant un instant la vie que j'aurais eu si je n'étais pas née dans un château. Les oiseaux chantent, la nature s'anime autour de moi, les feuilles volent et les animaux galopent au loin. Au château, les gardes royaux tournent en rond, les gouvernants se plient en quatre pour subvenir aux moindres caprices du roi et c'est une odeur de pureté qui traîne dans l'air. C'est assommant à la longue.
Je m'assoupis, il va falloir minimum dix minutes aux orphelins pour remarquer mon absence ou une vingtaine si Vale s'en charge. Je peux profiter du brûlant soleil en toute sérénité. Ma peau arborera une teinte de plus d'ici le mois prochain. Elle tirera au beige Paris-Brest et non plus à sa nuance de camomille. La faucheuse me verra dans ma plus belle palette de couleur. Je mouille mes cheveux et m'affale sur mes coudes.
Et dire que c'est un enlèvement qui m'a mené ici. Je n'aurais jamais cru tremper mes pieds dans de l'eau et voir ce que je lis dans les livres. Les murs du palais m'étouffaient, j'avais l'impression qu'ils se rapprochaient de jour en jour. Je sais qu'un jour, ils auraient fini par m'écraser et me réduire en bouillie. La vie de princesse ne convient pas à tout le monde.
— April ?
De toutes les voix que je pensais entendre, celle de Conrad est celle que je n'attendais pas. J'ouvre les yeux puis plonge dans l'eau pour m'ensevelir jusqu'à la taille. Il m'a déjà vue nue mais je préfère éviter qu'il me voit dans cette tenue. Ça fait plusieurs jours que je n'ai pas croisé une de mes anciennes connaissances. Mon père a envoyé un détective privé pour me retrouver, il n'aurait jamais dû.
— C'est bien toi, peux-tu sortir de l'eau que l'on bavarde entre vieux amis ?
On n'est pas de vieux amis, on a couché ensemble plusieurs fois dont deux devant son mari et il s'est dit que c'était une bonne idée de trouer le préservatif alors que j'étais en pleine ovulation. Sans la pilule du lendemain, je serais probablement tombé enceinte de ce malade. Je l'ai renvoyé de mon lit et mon père l'a engagé.
— Va te faire foutre, on est juste des connaissances.
— À cause d'une capote craquée?
— Trouée, elle a été trouée et c'est exactement pour ça qu'on n'est pas amis. Tu m'as trahi et devant ton mari en plus.
— Tu as pris la pilule, non ?
Je n'en reviens pas, la pilule n'est pas une contraception, on l'utilise pour les urgences. J'ai dû envoyer Rosie qui a payé le prix fort, j'ai passé la pire journée de ma vie et celle-ci commence à lui ressembler. Il défait sa ceinture, se débarrasse de ses vêtements et monte en caleçon dans l'eau. Il arrive à ma hauteur, je recule, l'eau me fait frissonner.
Elle atteint mes épaules alors qu'il continue de réduire la distance entre nous. Je ne peux plus bouger, la peur me tiraille à l'intérieur. Son pouce presse sur ma gorge, il bascule ma tête sur le côté, je le fusille du regard, l'eau bloque la fluidité de mes mouvements sinon il aurait déjà reçu un coup de genoux dans les testicules.
— Ton père pense que tu as été kidnappé mais tu as l'air très libre de tes mouvements.
— Retourne sous les jupons de mon père alors.
— Tu viens avec moi ?
— Plutôt me noyer que de te suivre.
— Le château t'offre tout pourtant tu préfères vivre dans la nature ? Si tu ne viens pas au palais, le palais viendra à toi.
Rien à foutre ! Sa main libre descend sur mon estomac, je serre les jambes, il ne me touchera pas, je ne veux pas qu'il me touche. Ses doigts poursuivent leurs chemins, je le sens agiter mon clitoris. Les larmes traversent mes joues, je me mords les lèvres et fuis mentalement la scène.
Mon corps et mon esprit se séparent. Je vole dans le monde, parcourant les Sept Royaumes avec les Sept orphelins. Nate se cantonne aux prostituées, Tate reste avec moi en permanence et Oliver s'étale à nos pieds pour qu'on lui gratouille les oreilles. J'aime ma vie avec eux, je refuse d'être une princesse toute ma vie.
Un coup de feu me tire de mon rêve, Conrad flotte dans l'eau alors que du sang sort de son crâne. Je suis à nouveau libre, je pivote la tête vers la terre ferme et vois Lane avec l'arme de service de l'agent spécial. Le bruit alarme les autres qui se ruent à l'extérieur. Kane récupère l'arme et retire les balles du chargeur avant de la balancer dans l'eau.
— C'est le client qui posait des questions. Informe Vale en baissant les mains de son petit copain. Qu'est-ce qu'il s'est passé?
— FAITES-LA SORTIR DE L'EAU ! Tate, tu l'habilles. Lane, tu vas dans le salon avec ton mec. Pade et Kane, mettez le corps à la cave. Je vais envoyer un taxi à Dave, on va régler cette histoire.
Tate se dévoue mais c'est par mes propres moyens que je sors de l'eau. Je passe la porte d'entrée de la maison par moi-même. Je cours même à l'intérieur, l'air frais me glace le sang, je m'enroule dans une serviette et retire mes vêtements en vitesse. Le militaire fait une fixette sur ma poitrine puis m'aide à me sécher. Mes lèvres sont devenues bleues à cause de l'air ambiant.
— Comment es-tu sortie?
— La fenêtre de Kane.
— Qui était le type avec toi ?
— Un enfoiré. Tu vas me faire passer un interrogatoire ou on peut se comporter comme des adultes.
— Tu es nue devant moi et y'a un cadavre dans ma cave donc j'aimerais juste avoir des réponses.
— Ce type m'a trahie et mon père l'a engagé pour enquêter discrètement sur divers faits qui concernent la couronne. Il me faut son téléphone, son mari va s'inquiéter.
— Il est marié?
— Depuis environ quatre ans, son mari est un homme génial.
— Je croyais que tu ne couchais pas avec les hommes mariés.
— J'avais l'autorisation des deux parties et il était souvent là. Écoute, on m'a appelé la salope du palais parce que j'assume ma sexualité. Lui a été à l'origine de six mois d'abstinence il y a un an.
— Pourquoi?
— Ça ne te regarde pas.
— Ma jolie, qu'est-ce qu'il s'est passé dans l'eau ?
— Je n'en sais rien.
— Tu étais dans l'eau avec lui, tu devrais savoir. Soupire-t-il pendant que je m'assois sur les toilettes.
Le chien vient dans la salle de bain et s'assoit à mes côtés.
— Je ne me souviens pas.
— C'était il y a deux minutes, April !
Il hausse le ton, le chien lui aboie dessus, il n'apprécie pas qu'on me rouspète pour quelque chose dont je ne possède aucun souvenir.
— Oli, c'est bon. C'est pour notre protection que je lui demande. Ma jolie, je ne veux pas te forcer à me dévoiler ce qu'il s'est passé donc dis-le moi.
— Tate, je peux te parler ? Demande Lane en déposant les deux boîtes de vêtements sur le lavabo. En privé.
Tate certifie que la fenêtre est fermée puis sort de la pièce en fermant la porte. J'enfile des habits et me coiffe rapidement. Ça change de porter des vêtements couvrants. Oliver en est ravi, il se met debout sur le lavabo à la droite et lèche mon coude. J'ouvre la porte et retrouve Tate, Lane et Vale sur le canapé.
— Assieds-toi.
— Vous allez faire mon procès? C'est lui qui a tiré, pas moi.
— Tu es partie, assieds-toi, me somme le blond en haut de l'escalier.
Toujours pas, je suis droite comme un livre, légère comme une plume et raide comme un bâton.
— ASSIEDS-TOI ! Hurle Nate du balcon. APRIL POSE TON CUL DE PRIVILÉGIER SUR CE FAUTEUIL AVANT DE TE PRENDRE UNE BALLE COMME TON POTE.
Je fais le tour de la pièce, les bras croisés sur ma poitrine, mes jambes se contractent et mon ventre se noue pourtant je ne ressens aucune peur. Je n'ai rien fait de mal, profiter de la chaleur du monde n'a rien de criminel.
— Si tu crois me faire peur, tu te fourres les doigts dans l'œil.
— J'ai une question à te poser, faut-il que je te muselle pour te faire taire ?
— Je mords donc attention.
Il me fait un croche-pied, je me retrouve au sol avec lui sur mon dos, il fourre un bâton dans ma bouche et tire. La commissure de mes lèvres se déchirent et s'enflamment, il n'appuie que la moitié de son poids sur moi or il reste lourd. Il bloque mes mains sous ses genoux, une lame apparaît sous ma gorge quand il éloigne le bâton de mes lèvres. Mon corps part mystérieusement en avant mais par chance ma gorge ne se tranche pas. Elle est juste subtilement entaillée. Je plie mon dos alors qu'il pousse sur ma tête. Les larmes stagnent au coin de mes yeux alors que toute ma colère vient s'accumuler dans mes joues. Je rougis, mes yeux sortent pratiquement de mes orbites et je suis presque sûr que je vais perdre une ou deux mèches de cheveux.
— Va dans ta putain de chambre sinon tu finiras comme Marie-Antoinette. Tu as vingt secondes, pas une de plus.
Il se lève et je cours dans ma chambre. La porte de claque derrière moi, je fonce dans la salle de bain et rince mon cou. Le miroir me montre une plaie rose mais je saigne, je le sais. J'essuie le liquide puis cogne ma tête dans le mur en écoutant ce qu'il se passe.
— Pourquoi un taxi est venu me chercher à l'hôpital? Kane devait venir me chercher. Tiens mon dossier médical. Y'a une réunion de famille sans moi ?
— Nate a failli tuer April, encore. Mentionne Tate. Comment vas-tu Dave ?
— Raconte.
— On mange de la chair fraîche ce soir, un détective privé.
Si on me sert de la viande, je la refuse. Je ne mangerai pas cet enfoiré.
— Pourquoi?
— Parce qu'il y a un cadavre dans la cave à cause d'elle.
— Ce n'est pas sa faute. Me défend Lane, j'ai tiré. Elle ne lui a rien dit qui puisse conduire qui que ce soit à nous.
— Qu'as-tu vu quand tu es arrivé ?
— Elle ailleurs et lui là. Ils étaient dans l'eau l'un face à l'autre. On a besoin d'elle et on ne doit pas être découvert. Tuer ce type était le seul moyen de subvenir à nos besoins.
— Dans l'eau ? Comment est-elle sortie?
— La fenêtre de ma chambre. Confie Kane quand la porte de ma chambre s'ouvre. Oliver sort de la chambre.
Le toutou donne des coups de museau sur ma main pour avoir des caresses. Je m'occupe de lui quand son propriétaire le rappelle une nouvelle fois à l'ordre. De nouveau seul, je m'étale dans la baignoire vide et compte les tâches diverses et variées présentes dans la pièce. Nate est le plus insupportable des hommes de cette planète, pas au niveau de Conrad mais il l'atteint presque.

Ni cœur, Ni âme (1)Where stories live. Discover now