Chapitre 5: Prélude

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" J'avais joué de mémoire, comme si ce morceau, je l'avais joué encore la veille "

*****

En milieu d'après-midi, mon regard se posa par hasard sur ma table de chevet où reposait le cadeau de mon oncle.

Je pouvais enfin me permettre de le découvrir !

Lorsque j'extirpai de l'enveloppe une carte de visite, je me pris à froncer les sourcils. Et lorsque je lus sur cette dernière " A la mélodie enchantée , vendeur de piano de grandes marques, ventes de partitions ...", je pâlis.

A cette carte était jointe une lettre dont je m'empressai de débuter la lecture.

" Ma chère Charly,

je réalise encore avec peine que tu appartiens à ma famille, depuis un an et plus encore, que tu fêtes tes seize ans, toi que j'ai connu si petite !

Il y a peu je me suis remémoré de tes visites chez moi où , pendant des heures tu jouais au piano accompagnée de ta mère. Tu étais une véritable pianiste émérite et du haut de tes sept ans, tu dépassais déjà sans mal des pianistes confirmés. Je garde un excellent souvenir de ces moments-là, où bouchée bée, je m'asseyais avec Davis et où je vous écoutais sans voir le temps passer. J'ai réalisé que je n'avais pas le droit de laisser un tel talent se perdre . Je me suis donc permis de te pré-commander un nouveau piano en espérant avoir l'honneur de t'entendre jouer de nouveau. Je sais que certains souvenirs liés au piano sont encore douloureux et que ce modeste piano ne remplacera jamais celui de ta mère mais essaie de faire abstraction de tout ça, rappelle-toi comme le piano te tenait à cœur.

Je te souhaite un très joyeux anniversaire.

Ton oncle, Andrew."

Sa lettre réveilla en moi un sentiment de panique qui eut rapidement le dessus sur tous les autres. Un piano ? Était-ce seulement une mauvaise plaisanterie ? Il ne pouvait pas me faire ça. C'était impossible. Il savait ce que le piano représentait pour moi. Et à quel point il m'était encore difficile d'y repenser, d'en parler et bien plus encore d'en approcher un. Quelle ironie du sort de vouloir m'en offrir un ! Une longue année que je m'étais résolue à faire une croix sur le piano de ma mère vendu à je ne savais trop qui, à piétiner le visage recouvert de larmes l'ancestral piano électrique qu'elle m'avait offert à l'un de mes anniversaires, brûlé la grande majorité de mes partitions, délaissé ma passion et laissé à l'oubliette tous les souvenirs auquel il était associé.

J'avais pris la décision d'oublier le piano. De renoncer à tout ce à quoi il était lié. De renoncer à ce qu'il aurait pu m'apporter. De renoncer à la foule de sensations qu'il éveillait en moi. Parce qu'il appartenait au passé. Parce que ne résonnait en cet instrument que de douloureux souvenirs. Parce que je ne supportais plus la douleur qu'il m'infligeait à chaque fois que je m'en approchais. Parce qu'à mes yeux, jouer sans ma mère, ma professeure, le piano avait perdu toute valeur. Parce qu'à mes yeux, ses vertus s'étaient évanouis au moment précis où ma mère m'avait quittée.

La rupture avait été brutale, mais ma décision irrévocable. Je n'avais pas flanchée - pas une seule seconde. Je ne m'étais jamais retournée quand bien même cette décision m'avait déchirée et avais représenté un deuil bien particulier.

A ce jour j'avais tiré un grand trait sur la musique, pour mieux débuter mon propre prélude.

Il était hors de question qu'Andrew se permette une telle chose. Au risque de détruire tous mes efforts. J'avais dit non définitivement à cet instrument. Je ne devais pas me retourner lorsque faire le deuil de mes parents étaient une épreuve suffisamment rude. Ceci ne reviendrait-il pas à faire de la marche arrière ?

Somehow, I would know ... [ ANCIENNE VERSION ]Where stories live. Discover now