Partie 1

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Je referme la porte de mon casier avec mes manuels sous les bras. A peine trois pas plus tard, je trébuche sur un obstacle invisible. Quelqu'un me bouscule en même temps. Déséquilibrée, je finis par tomber, tous mes livres à mes pieds.

- Eh Matt ! T'as vu dans qui t'as tapé ? C'est l'autre binoclarde-là !

Est-il vraiment nécessaire de lui expliqué que pour être "binoclard" il faut déjà avoir des lunettes ? Je reste les fesses au sol et fixe les baskets de Matt, gênée. Au bout de quelques secondes, je reprends mes esprits et commence à ramasser ce que j'ai fait tomber. Je me redresse sans un regard à mon "percuteur". Je ne bouge pas. Lui non plus.

- Matt ! Qu'est-ce que tu fous ?

- Je.. j'arrive !

Je finis par le contourner et continue mon chemin. Du coin de l'œil, je le vois se passer la main dans la nuque.

- Mady ?

- Hum..., fais-je en me retournant.

- Pardon.

J'acquiesce en haussant les épaules. Il s'en va pour rejoindre ses amis qui l'attendent plus loin. Je souris avant de me ressaisir. Mon cœur se serre. Dire qu'on ne se reverra plus... Le bac approche tellement vite.

* * *

Nos résultats sont enfin affichés. Je marche tranquillement vers le panneau bondé d'élèves à la fois déçus et heureux. Au milieu des cris et des pleurs, je cherche mon nom. Je l'ai. Un grand soulagement m'envahit et une immense joie grandit en moi. Je souris et sors du lycée.

Je n'ai personne avec qui partager ma joie. Mes parents sont absents cette semaine et de toute façon ils voudront seulement savoir si je l'ai. Je leur téléphonerai en arrivant. Ils ne partagent jamais les moments importants. Enfin on ne considère pas les mêmes instants comme importants. Pour eux, le bac n'est pas la partie utile. Ils veulent simplement savoir ce que je vais faire à la rentrée prochaine. Je ne leur ai pas dit que je ne me suis inscrite nulle part.

On est très différents alors que je suis leur fille unique. Mes parents sont souvent en déplacements pour diverses choses mais je ne sais jamais vraiment quoi. Ils dirigent une grande entreprise de vêtements de luxe internationale. Je n'ai pas à me plaindre : j'ai toujours droit à des tonnes de vêtements et à d'autres beaux cadeaux. Je suis gâtée mais au fond j'ai simplement besoin d'eux. Je n'ai pas d'amis, les membres de ma famille ne viennent jamais chez nous. Je suis malheureuse mais je vis avec.

J'ouvre la porte de la maison. Très moderne et tape-à-l'œil. Je téléphone à mes parents, qui me félicitent. Ils raccrochent rapidement, un de leurs démarcheurs est entré.

Je monte dans ma chambre et, par habitude, balance mes affaires sur le sol, saute sur le matelas et attrape mon casque pour le glisser sur mes oreilles. Je coupe le silence autour de moi, histoire de m'évader un instant de la solitude, ma joie maintenant effacée. Pour de bon.

Je ferme les yeux un instant. Un bruit me tire de ma léthargie. Je soulève un côté du casque. J'ai dû rêver. J'attends encore quelques minutes et n'entendant rien remets mon casque. La musique prend fin. C'est à ce moment-là que quelqu'un frappe à la porte de la maison. Je lâche définitivement mon casque et descends.

Mes parents sont peut-être revenus pour moi. Pour fêter ma réussite. Un sourire fugace surgit sur mes lèvres. Je cours dans les escaliers, manquant de tomber plusieurs fois puis ouvre la porte.

La surprise me fait ouvrir grands les yeux. Ce n'est pas mes parents. Un garçon se tient à leur place, dans l'encadrement de l'entrée. Il s'approche de moi et s'effondre dans mes bras. Je le retiens comme je peux. Mes genoux plient sous son poids. Je ne sais pas quoi faire. Je traîne le garçon jusqu'au canapé crème. Je le dépose tant bien que mal.

Son visage est en sang. Je file chercher du coton, du désinfectant et de l'eau. Une fois le tout réuni, je retourne auprès de lui, toujours inconscient, et nettoie son visage. Il a une plaie au front et son nez saigne. Mais le plus grave n'est pas là. Sa chemise est déchiquetée, son torse parcouru de griffures. Sa respiration ralentit. Il s'endort. Je retourne à la porte pour la fermer et regarde dans la rue mais il n'y a personne. J'applique le coton sur ses plaies, qui n'ont plus l'air si profondes. Apres avoir appliqué des strips trouvés par hasard dans un tiroir, je m'assois sur le fauteuil en face.

Je devrais appeler une ambulance, un médecin saurait recoudre ses plaies. Mais au fond de moi, je sais que je ne dois pas le faire. Je sens qu'il ne faut pas, ou que ça ne servirait à rien. J'attends.

Au bout d'un long moment, je décide de me lever pour préparer de quoi manger. Une immense fatigue, sans doute due à toutes ces émotions, me surprend et mes jambes se plient soudain. Je me retiens tant bien que mal en m'appuyant sur la table basse. Je n'ai jamais été aussi crevée. L'homme grogne. Je retrouve suffisamment d'énergie pour contourner la table et me pencher sur lui, inquiète. Il doit sans doute rêver. Je passe une main sur son front, brûlant. Je ne sais pas quoi faire. Il faut que j'appelle les secours. Je monte chercher mon téléphone. Un cri m'empêche de composer le moindre numéro. Je lâche le portable et redescends. Je passe ma main sur sa mâchoire contracté, ses traits se détendent. Il finit par totalement se calmer, bien que ses traits restent tirés. Je tire une chaise pour me mettre au plus près du canapé et laisse mes doigts se perdre dans les cheveux du blessé. Il ne faut pas attendre longtemps avant que mes yeux se ferment. Pas très résistante, la Mady...

SingulièreWhere stories live. Discover now