Chapitre 33

18.4K 1.3K 284
                                    


« Le moment où tu sens que tu dois prouver ta valeur à quelqu'un est le moment d'absolument et totalement partir. » Alysia Harris

Evangeline

La plage régionale de Doran occupait principalement l'espace de l'une des deux presque-îles de Bodega Bay. Au bout de cette presque-île se trouvait le camping de Doran, bordant la plage de Doran. A l'extrémité de cette plage, là où se trouvait le camping, une jetée uniquement faite de caillou permettait de nous isoler de tout, seulement entouré par la mer. Nous avions donc conduit jusqu'à la pointe de la presque-île pour profiter de la vue. Il n'y avait pratiquement pas de voiture sur le parking, trois ou quatre tout au plus. Un couple de personnes âgées marchait dans le sable, bras dessus, bras dessous, emmitouflés dans d'épais manteaux, sous un vieux parapluie canne bleu sombre.

« Je ne viens pas souvent ici, me confia mon accompagnateur alors que je m'arrêtai devant un panneau nous renseignant sur la faune marine des environs.

- C'est bien dommage. C'est un endroit magnifique. On peut même voir les baleines de mars à juin. Enfin, uniquement à Sonoma Coast State Park, ici je ne suis pas sûre qu'on voit grand-chose.

- Je crois que ma mère nous a déjà envoyé là-bas quand j'avais huit neuf ans. Et Olivia et mon père aussi. C'était la première sortie que l'on faisait tous les quatre, je ne m'en souviens presque plus. »

Je quittai la carte nous renseignant sur les baleines pour le fixer quelques secondes. Il esquissa un sourire puis se dirigea vers la longue jetée de pierre. Je le suivis rapidement, envieuse de me retrouver face à l'océan. Roy sautait de pierres en pierres, s'éloignant toujours plus du bord, afin de rejoindre le bout de la jetée. Je le suivais, prêtant attention à chacun de mes pas, de peur de glisser ou de m'appuyer sur un rocher bancal. Il ne manquait plus que je me blesse. Le vent menaçait de nous faire perdre l'équilibre et les embruns ressemblaient de plus en plus à de la pluie. Je regrettais à cet instant de ne pas avoir pris d'écharpe ou de manteau plus chaud.

« Qu'est-ce que tu aimerais faire plus tard ?

- Comme métier tu veux dire ?

- A moins que tu aies prévu de vivre chez papa et maman Shelton jusqu'à tes quarante ans.

- Tout d'abord, que je vive chez mes parents n'empêcherait pas que j'aie un travail. Ensuite, je n'en ai aucune idée.

- Aucune ? »

Il se retourna quelques secondes, en affichant une expression des plus innocentes, qui semblait rappeler qu'il était toujours un petit frère, capable d'avoir la curiosité d'un enfant de six ans par moment.

« Je ne sais pas ce que je veux faire, je suis ouverte à toute proposition ! Mais je sais ce qui ne m'intéresse pas et ce que je ne pourrais jamais faire.

- Par exemple ? »

Nous arrivions au bout de la jetée. Quelques vagues plus hautes que les autres nous éclaboussèrent légèrement, Roy émit un mouvement de recul.

« Calme toi, ce n'est que de l'eau salée. Tu as un problème avec la mer ?

- T'as pas vu le gros panneau rouge près du parking qui dit que les vagues peuvent être dangereuses ?

- Il n'y a pas tant de vent que ça et les vagues ne sont pas si hautes. »

Il leva les yeux au ciel tout en manquant de glisser sur une roche mouillée puis se rattrapa de justesse en jurant. J'en profitai pour le dépasser. Une fois au bout, je trouvai un point d'encrage qui me permettait de rester debout sans risquer de tomber puis inspirai et expirai profondément en fermant les yeux, remplissant mes poumons d'air iodé. J'aimais la sérénité que me procurait l'océan et tout ce qui allait avec, que ce soit la légèreté qui m'emplissait lorsque je flottais, ou la sensation du sable filant entre mes doigts et mes pieds, ou le silence qui m'entourait lorsque je m'immergeais complètement et que je possédais un pouvoir de vie ou de mort sur moi-même. J'aimais cette impression d'être à la fois libre, légère, portée par l'océan et prisonnière, emprisonnée, éprise, comme si des millions de litres d'eau chutaient en cascade sur ma cage thoracique pour m'empêcher de reprendre mon souffle. Roy se posta à mes côtés et je rouvris les yeux.

L'Équilibre d'EvangelineWhere stories live. Discover now