Chapitre 40

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« Il l'a embrassé comme si ses lèvres étaient de l'oxygène et qu'il ne pouvait plus respirer. »

Evangeline

Une semaine s'était écoulée depuis le week-end dernier et en l'absence de moments d'intimité entre Roy et moi, notre relation était toujours au même point qu'au mariage : tendue, dans le bon sens du terme. Le vendredi, soir où Tomales et Twin Hills s'opposaient à nouveau, mais dans mon ancien lycée cette fois, était arrivé trop rapidement à mon goût.

Il faisait déjà presque nuit lorsque j'étais arrivée dans le bus scolaire. J'avais trouvé ma place juste devant Roy et Sébastien, pas loin du coach pour pouvoir l'entendre hurler ses insultes à ses chers joueurs. Généralement, elles tournaient tout le temps autour du niveau sonore trop élevé, après quoi il les motivait en leur faisant crier leur cri de guerre. Plus bruyant et rempli de testostérone tu meurs.

Lorsque le bus s'arrêta sur ce parking que je connaissais si bien, je ressentis un pincement au cœur. C'était comme si rien n'avait changé. J'avais eu un peu la même constatation lors de mon retour au lycée après l'accident. A présent, je regardais ses bâtiments avec insensibilité. Mon mur intérieur se reconstruisit pour repousser toutes les émotions tentant de me submerger. Je fermai les yeux quelques secondes, pris une grande inspiration puis me levai rapidement et sortis du bus, sans laisser aucune pensée prendre le dessus sur mes actions. Ce ne fut qu'une fois les deux pieds au sol que j'arrêtai le mode « pilote automatique ». J'y étais. Pour la première fois depuis la fin des évènements, la fin de mes apocalypses, j'y étais. J'osais remettre les pieds dans ce lieu maudit que j'assimilai à l'enfer. Je sentis rapidement des présences derrière moi. Les joueurs sortaient du bus, sacs sur le dos, se réjouissant déjà d'une victoire prochaine. Le coach hurlait ses indications, demandant de l'ordre, du silence et « un minimum de civilité bordel ! ».

« Ça va aller ? »

Je me tournai vers Roy et Sébastien, visiblement soucieux de mon état.

« Oui, bien sûr que oui. Tout va bien. »

Je forçai un bref sourire et commençai à m'avancer vers le bâtiment. Je connaissais chacun de ses recoins, de ses failles, de ses couloirs et de ses salles. Chaque numéro de casier, chaque professeur, chaque trophée sur le tableau d'honneur... Je connaissais ce lieu par cœur et chaque parcelle de cet endroit restait piégé dans ma mémoire. Je me retournai brièvement vers la maisonnette en brique derrière laquelle j'avais passé le plus clair de mon temps en fin d'année dernière, là où j'avais rencontré Ben, puis reposai mon attention vers le bâtiment. Je remarquai alors un nouvel élément, qui n'était pas là avant mon départ, j'en étais certaine. Je m'approchai lentement du petit monument en pierre surmonté d'une plaque de bronze.

9 Janvier 2016

En souvenir de

S'en suivait une liste de tous les élèves présents dans le bus lors de ce jour funeste. Mon nom y figurait et aucun des joueurs venus y jeter un bref coup d'œil n'en dit quoi que ce soit. La plupart m'adressèrent un faible sourire, qui bizarrement m'allait. Je me sentais à la fois chez moi et dans un lieu inconnu. Carter passa son bras derrière mes épaules, sans dire un mot et je le suivis, toujours en silence dans ces couloirs. Je n'osais pas regarder autour de moi, de peur de replonger dans de mauvais souvenir, pourtant, en passant devant mon casier, je ne pus m'empêcher de m'attarder. Un jeune garçon d'à peine quinze ans à l'acné difficile y déposait ses livres, le regard morne. Je m'arrêtai. Il n'y avait plus toutes ces photos, ces illustrations, ces couleurs, ces décorations ajoutées au fil du temps. Il y avait imposé sa personnalité, ses goûts, sa vie... Je ne distinguais pas tout, mais il y avait plusieurs illustrations aux couleurs de différentes équipes sportives. Lorsque ce casier m'appartenait encore, je l'entretenais, on ne pouvait y retrouver aucune feuille froissée, aucun cahier déchiré, aucun livre abimé. Avant j'avais toujours été du genre fille sage, gentille avec tout le monde, sans vraiment d'histoire, sans vraiment d'intérêt, qui ne suscite pas vraiment l'attention. Puis tout avait changé... Le nouveau propriétaire grimaçait en constatant que la plupart des pages de ses affaires étaient tordues et que le bout de son équerre n'avait plus rien d'un angle droit. Ce casier, autrefois le mien, ne gardait plus aucune trace de mon passage, si ce n'était peut-être les initiales E.S. que j'avais inscrites au feutre indélébile dans un coin de la partie amovible.

L'Équilibre d'EvangelineWhere stories live. Discover now