En rentrant chez moi, mon père est en train de jardiner, torse nu. Le soleil donne des reflets blonds à ses cheveux longs. Je n'aime pas quand il se les attache en queue de cheval. Je les préfère lâchés, ça lui donne un faux air de Kurt Cobain. D'ailleurs, j'ai longtemps cru qu'il était le chanteur. J'aimerais bien lui ressembler mais je suis tout son contraire. Autant mon père a les cheveux clairs, autant les miens sont foncés et il en est de même pour nos yeux, les siens sont bleus comme l'océan tandis que les miens sont noirs comme le crépuscule d'un soir d'hiver.
Il lève aussitôt la tête en me voyant approcher et se met à hurler :
— Bordel, Tonio, viens ici !
Mes deux frères me dépassent en pouffant. Ils savent, comme moi, que lorsque mon père prend la peine de nous adresser la parole durant ses arrosages, ça ne présage rien de bon...
— Qu'est-ce que tu veux ? je lui demande.
Je m'allume une cigarette pour le provoquer davantage.
— Écrase-moi cette clope !
— Non !
— Et arrête de toucher à mes plantations dès que je tourne le dos ! continue-t-il avec son mauvais air.
Il est concentré sur le débit du jet qui sort du tuyau. Le tenant à bout de bras, il avance lentement pour rassasier chaque plante afin que celle-ci grandisse et produise le maximum.
— J'y ai pas touché !
J'essaie de paraître détendu en recrachant la fumée de ma clope et je m'assois sur la marche de la porte communicante du jardin, d'où je peux facilement l'observer.
Il est grand, vraiment très grand, et musclé par les travaux manuels. Il aime la terre qu'il travaille chaque jour pour en tirer ses récoltes. Ses gestes sont les mêmes que ceux de son père et de son grand-père avant lui. Chaque jour, il répète la tradition familiale remontant sur plusieurs générations. Son jardin est immense, il s'étend à perte de vue sur plusieurs hectares derrière notre maison. D'un côté, il y a le potager où les légumes varient en fonction des saisons et un peu plus loin, le verger, avec ses nombreux cerisiers, abricotiers, pruniers, pommiers et poiriers. Mon père aime tout ce qui vient du sol qu'il pétrit, retourne et façonne de ses propres mains, à la sueur de son front.
— Tu te fous de ma gueule ! s'énerve-t-il en s'essuyant d'un revers de main. Éteins ta clope, c'est mauvais pour ta croissance !
— Nan, j'ai fait des calculs ! Avec la moyenne de ta taille et celle de mes frères, croisée à ma courbe de croissance de ces six derniers mois, je ferai au moins un mètre quatre-vingt, en retirant dix centimètres minimum à mes calculs, et tout ça en fumant un paquet par jour !
Mon père ne réagit pas. Il reste concentré sur ses légumes et la quantité d'eau qui leur est nécessaire.
— Bon ! Mais tu touches pas à mes feuilles de cannabis, merde !
— J'ai pas pris les feuilles, j'ai coupé des têtes.
— Les têtes ? crie-t-il à nouveau contrarié. Putain, tu fais chier, c'est là qu'il y a les graines, bordel !
Son visage se crispe légèrement en levant les yeux vers moi. Il plisse le nez et marmonne encore quelques grossièretés.
— C'est pour ça que je les ai prises !
— Tu les revends pas au lycée, merdeux ? me soupçonne-t-il alors. Je vais avoir des emmerdes !
Il me fixe avec son regard menaçant, plissant les yeux exagérément, puis se ravise pour doser à nouveau le débit qui sort du tuyau.

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SPEED (Terminé) Tome 1
Teen FictionHyperactif et surdoué, appelez-moi speed ! Ce surnom me va comme un gant. Depuis mon plus jeune âge, je brûle les étapes de la vie. Je veux tout savoir et tout essayer, surtout quand on me l'interdit. Derrière mon arrogance, je cache une blessure qu...