Chapitre 53

8.1K 717 443
                                    

Mon gros porc de voisin s'est bien vite recouché après notre petite altercation. J'ai pu faire deux ou trois fois le tour du camping avec Rob, mon skate. En rentrant pour prendre le petit déjeuner, je repasse amèrement devant le chalet du connard. Je suis vraiment échauffé et je ne vais pas le laisser tranquille de sitôt ! Il se prend pour qui ?

Chez moi, personne ne bouge. Après leur petite nuit, mes frères ne seront pas debout avant midi et il est probable que ça soit pareil pour ma tante et mes cousines. Je tourne en rond autour de notre emplacement, lorsque mon regard est attiré par la grosse bouée flamand rose de notre imbécile de voisin. Je l'imagine en train de flotter au milieu de la piscine... Et puis finalement, je m'approche d'un pas décidé. Je jette un coup d'œil à droite et à gauche, je saisis la bouée et la lacère d'un coup de canif que j'ai eu la bonne idée de garder dans ma poche.

La guerre est déclarée, ducon ! Je jette le plastique dans sa poubelle restée devant les marches de son chalet, puis je vais m'installer sur un fauteuil de notre terrasse, face à mon ennemi, histoire de profiter du spectacle de son lever...

J'ai la haine aujourd'hui, et toujours cette boule qui gonfle au fond de ma gorge et qui m'oppresse. Je rumine encore le manque maternel. Mon voisin tombe à pic pour devenir mon défouloir. J'en veux à la terre entière et donc forcément à lui. Je mordille le médaillon en or du petit ange attaché à mon cou. J'ai retrouvé ce bijou au fond d'un tiroir, l'an dernier. Les initiales de ma mère y sont gravées. Je pense à ce que j'aurais dû faire pour la dissuader. Les regrets, la peine et la douleur ne me laissent plus en paix depuis qu'elle est partie. Clothilde me tire de mes songes en ouvrant enfin la porte du mobil-home.

— T'es déjà debout, toi ?

— Ouais ! j'essaie de prononcer en sentant ma voix disparaître.

— T'es malade ?

— Non, je chuchote, incapable d'émettre un son.

Quelle punition pour moi, me retrouver privé de parole ! Comment vais-je me défendre face à l'abruti d'à côté ? Merde, il ne manquait plus que ça.

Pour m'imiter ironiquement, ma cousine se met à murmurer :

— T'as déjeuné ?

— Pas encore !

Je n'ose plus forcer sur mes cordes vocales. Je jette un coup d'œil au voisin d'à côté qui ne bouge toujours pas.

— J'attends que quelqu'un se décide à me faire mon petit-déjeuner...

— Ce ne sera pas moi car je déjeune jamais le matin ! décline Clo. Mais t'as qu'à rentrer et te servir !

— Non, y a bien une âme généreuse qui va finir par me le faire...

— Si tu crois que t'es tombé dans un hôtel quatre étoiles, tu te trompes !

Clothilde s'assoit à côté de moi pour contempler son portable lorsque ma tante et mes autres cousines se lèvent enfin.

— Bien dormi ? m'interroge ma tante.

Je lui fais signe que oui en raclant ma gorge pour essayer d'émettre un son quand mon imbécile de voisin se décide enfin à foutre un pied dehors. Il s'étire sur sa terrasse en regardant dans notre direction. Je lui jette un regard provocateur mais il s'en moque totalement. Il salue gentiment ma tante qui lui répond par un bonjour.

— Tu le connais, interroge Louise.

— C'est un voisin, il a l'air sympa !

— Un connard, je murmure suffisamment fort pour que ma tante entende.

— Il est poli et gentil, me contredit-elle. T'es malade ?

Je remue la tête pour signifier clairement un "non, c'est rien !"

— Tu prends quoi au petit-déj, me questionne Laura.

— Chocolat chaud ! je chuchote, énervé que ma voix ne revienne pas.

Après avoir bien maté ma tante en chemise de nuit, les yeux du connard tombent sur sa poubelle où trône son flamand rose. Je ne peux retenir ce sourire moqueur qui défie l'abruti d'à côté. Évidemment, il percute rapidement la situation et ramène son plastique rose et son gros ventre sur notre emplacement pour expliquer à ma tante notre dispute de ce matin et mon homicide sur son flotteur.

— C'est vrai, Tonio ? m'interroge-t-elle.

— Ouais, je chuchote.

— T'avais une grande gueule ce matin, on dirait que tu t'écrases devant ta tante...

— Je peux plus parler, ducon ! je souffle.

— Tonio, me coupe ma tante en me mettant une tape assez forte derrière la tête. Tu t'excuses de suite !

— Pas question, c'est lui qui m'a insulté le premier !

— Tonio, dépêche-toi !

— Non !

— C'est pas grave, on a tous été des gosses, je le comprends ! finit par dire le voisin d'un ton charmeur.

— C'est pas une raison ! insiste ma tante fâchée contre moi.

Ils peuvent bien dire ce qu'ils veulent, me hurler dessus ou me punir, je ne céderai pas. Je suis pleinement satisfait de ce que j'ai fait, je vais même recommencer demain matin et tous les matins des vacances tant qu'il sera là ! Je ne le quitte pas des yeux, jouissant de son emportement vis-à-vis de moi lorsque mes deux frères se lèvent enfin. Ils comprennent rapidement la situation et se gardent de commenter, préférant rire intérieurement de la situation de notre voisin avec son flamand rose.

— Bonne journée, finit par lâcher l'abruti.

— Merci. Toi, t'es puni ! m'annonce ma tante en me pointant du doigt. Tu bouges plus d'ici ! Tu restes à côté de moi ! Toi et moi, on ne se quitte plus des vacances ! Compris ?

J'approuve d'un signe de la tête, me foutant complètement de sa punition à la con. De toute façon, elle m'attachera pas la nuit, alors pas de soucis ! En plus, ce n'est pas moi qui serai le plus emmerdé ! Elle va vite comprendre ce que ça fait de m'avoir collé à elle H.24.

— On va à la piscine ? propose Max pour changer de sujet.

— Je peux pas, je suis puni, je chuchote en défiant ma tante.

— T'es malade ? s'inquiète Max, surpris par ma voix.

— Il mue ! se moque Clo alors que Paulo, dont j'évite le regard depuis tout à l'heure, comprend tout de suite ce qu'il se passe dans ma tête.

Il se positionne derrière moi et pose sa main gauche sur ma tête alors qu'avec son autre main, il agrippe mon menton pour m'obliger à lever les yeux vers lui. Son geste, bien que maladroit, remue en moi trop d'émotions sur le lien fraternel qui nous unit.

— C'est bon, laisse-moi ! je m'énerve.

Je me lève d'un coup pour me cacher dans la tente et contenir toutes les larmes de mon corps qui menacent de sortir sans autorisation.

— Tonio ! essaie-t-il de me retenir.

Ça fait des années qu'il ne m'a pas appelé ainsi.

SPEED (Terminé) Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant