Chapitre 54

7.8K 668 383
                                    

Tu es partie et aujourd'hui, c'est l'anniversaire de ta mort, si peu de jours avant mon propre anniversaire... Quelle ironie du sort ! Réaliser que je t'ai survécu me fend le cœur et me déchire profondément.

L'an dernier déjà, j'étais resté un mois sans voix. Il paraît que c'est dû au traumatisme. J'espère que cette fois-ci, ça durera moins longtemps. Il faut juste que j'arrive à passer cette putain de journée. Il ne s'agit que d'une petite journée banale qui reviendra tous les trois-cent-soixante-cinq jours. Çane devrait pas être si insurmontable que ça, bordel !

Paulo vient s'allonger à côté de moi sur le sol, dans la chambre de notre tente. Nous restons un moment muets à regarder le plafond de la moustiquaire. S'il croit que je vais rompre le silence, il se fout le doigt dans l'œil ! Et d'une, c'est lui qui est venu, alors il n'a qu'à parler, et de deux, j'ai plus de voix ! Maintenant, c'est au tour de Max de pointer le bout de son nez. Il enjambe Paulo, puis moi, et vient se coller contre la toile qui menace de s'effondrer. C'est une chambre pour deux, pas pour trois ! Nous sommes serrés tous les trois les uns contre les autres dans ce cocon inconfortable, et pourtant bien douillet en cet instant. Encadré par l'amour fraternel que mes deux abrutis de frères me témoignent aujourd'hui par leur simple présence, je survis grâce à eux. Ils ne sont pas débordants d'affection, et tant mieux, mais ils sont là, attentifs, et Paulo est même plutôt bon pour déceler chez moi la tristesse qui me ronge parfois. Je culpabilise de ne pas leur rendre cette délicatesse, en tant que petit dernier bien égoïste qui se concentre sur sa propre douleur.

— Ça va ? demande Max, inquiet, en nous regardant tous les deux.

Et je ne trouve rien d'autre à faire que d'éclater de rire nerveusement, en les observant l'un et l'autre avec leurs visages soucieux de mon état.

— T'es trop con, toi ! m'insulte Paulo en se tournant sur le côté pour mieux nous voir.

— Quoi ? je le questionne d'une voix presque aphone, tout en fixant le ciel de la tente.

Par crainte d'être de nouveau débordé par mes émotions, je n'ai pas envie de regarder mes frères.

— Ce matin, tu pouvais pas rester tranquille et fermer ta gueule, pour une fois !

— Bah non !

Je soupire et je me mords l'intérieur de la bouche pour ne pas rire trop fort. Je repense à l'autre connard qui fait du rentre-dedans à ma tante.

— J'ai eu une idée pour ton anniversaire, mais c'est pas le moment d'attirer l'attention de tata sur nous ! Alors essaie de rester un peu discret...

— C'est pour le truc que tu m'as dit ? interroge Max en rigolant.

— Ouais, se vante Paulo.

— Dites-moi !

— Non, refuse Paulo en me tapotant le ventre affectueusement. Tu verras ça dans deux jours ! C'est une surprise...

Vers minuit, nous recommençons le même rituel que le soir précédent. Le camping est calme, et mes frères et moi, complètement excités à l'idée de cette escapade illégale. Nous avons réussi à convaincre nos cousines de se joindre à nous, et elles se révèlent être à la hauteur du défi. Nous retrouvons à l'aire de jeux la petite bande de jeunes de notre âge.

Il y a les quatre garçons de la veille ainsi que les trois filles. Je tombe rapidement sous le charme de l'une d'elle, la plus âgée. Elle s'appelle Alice. C'est une jolie blonde, assez franche et naturelle. Toujours très direct, j'affiche très tôt ma faiblesse en m'asseyant au plus près d'elle pour lui taper la causette.

— Et sinon, t'as un mec ?

Je suis obligé de forcer sur ma voix toujours absente et c'est vrai que je ne devrais pas commencer une conversation comme ça. En plus d'être toujours aphone, je lui rentre dedans trop vite... Mais au moins, je sais à quoi m'en tenir. Si elle répond que non, je continue la conversation, et si elle me répond que oui, je me rabats sur sa pote...

— T'es plutôt brut de décoffrage, toi ! se rebelle-t-elle en éclatant de rire.

Elle me découvre dans la pénombre toutes ses dents parfaitement alignées, ce qui finit de me séduire.

— Dis-moi !

J'insiste, amusé qu'elle pose sa main sur mon épaule pour me chuchoter à l'oreille :

— T'as quel âge ?

Elle me le demande si bas qu'au final, je peux lui répondre n'importe quoi... Personne ne saura. Je décide donc de lui mentir. Après tout, c'est pour la bonne cause.

— Seize !

— J'en ai dix-sept ! se vante-t-elle en me toisant.

— J'aime les vieilles !

— Je suis célibataire, lâche-t-elle à haute voix en direction de Paulo qui lui retourne son plus beau sourire en recrachant la fumée de sa cigarette.

Bordel de merde. Je crois rêver. J'ai l'impression d'assister à un coup de foudre. Tant qu'ils y sont, ils ont qu'à baiser direct...

— Paulo, Action ou Vérité ? je lance pour casser le charme.

S'il croit qu'il va me piquer la meuf que j'ai choisie pour mes vacances...

— Vérité ! me lâche ce dégonflé en continuant de faire de l'œil à Alice.

— Quel est le dernier SMS que tu as envoyé à Sophie, aujourd'hui ?

Paulo est scié, cassé en plein mode séduction. Il me fusille du regard. Bah ouais, blaireau ! C'est les vacances et toi et Max, vous avez tous les deux une meuf à la maison.... Je me passe mon majeur sous le nez pour l'achever.

— Euuhhh ! commence-t-il en se raclant la gorge et en fouillant dans son tél.

— Max, lis pour lui, on sait jamais, il est capable d'inventer !

— Non, c'est bon, je suis pas comme ça ! se vante-il. Donc, en fait, c'est une photo...

— Ah, une photo de quoi ? questionne Clothilde aussi curieuse que moi.

— De moi ! avoue Paulo en faisant circuler son portable.

— De toi, comment ?

J'espère que la photo est embarrassante. Mais non, pas du tout, c'est juste mon frère, tout beau et tout bronzé, bien photogénique, qui sourit bêtement.

— Bah, lis ton message d'avant !

Je tiens vraiment à le ridiculiser.

— Oh, t'es chiant ! soupire-t-il encore. Bonne nuit ma chérie. Je t'aime. Voilà !

— T'es même pas romantique ! je lui reproche.

— Parce que tu l'es, toi ? Tonio, Action ou Vérité !

— Moi, toujours Action ! je fais, sûr de moi.

— Tu dois te vernir les ongles des mains et des pieds pendant vingt-quatre heures !

SPEED (Terminé) Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant