Folle

72 12 65
                                    

Les secondes s'étaient volatilisés depuis déjà des heures. Il n'y avait rien. Rien que le tic et le tac persistant d'une horloge. Les aiguilles suivaient leur course contre le temps, tandis que le temps lui-même s'envolait à l'horizon. Le vent frais et matinal venait souffler son air glacial, emportant les minutes avec lui. C'était un engrenage. Tout n'était qu'un engrenage. C'est comme si que la terre n'était rien d'autre qu'une toupie. Il suffisait de la relancer pour que tout revienne à zéro et que la vie reparte, lançant les rayons d'un nouveau jour. Pourtant, cette fois ci, le temps avait semblé se suspendre. Les feuilles mortes tombaient au ralentis sur le sol déjà tapissait, dû à leurs congénères, tombées plus tôt. Les cœurs des êtres battaient lentement contre la cage thoracique de leur propriétaire, semblant se ralentir progressivement. Les oiseaux semblaient même voler à reculons. Plus rien n'avait de sens. La toupie avait déraillé en chemin et la vie ne voulait plus rien dire. Le temps s'était laissé emporter et avait oublié d'être renouvelé. La fraicheur du sol prit son envol et la terre gronda. Elle sembla se soulever et respirer, laissant son souffle faire écho dans l'ère du temps. Les tourments s'arrachèrent à la solitude et les émotions s'envolèrent avec tout ce qui était parti, plus tôt. Tout se pliait à la volonté du temps et de l'espace. Bientôt les êtres mouraient et tout tomberait en poussière. Ça serait beau. Ça serait destructeur.

La porte de la chambre s'ouvrit doucement et un plateau repas fut distribué à l'occupant de la pièce. L'adolescente regarda la nourriture qui possédait un aspect peu ragoutant et éclata de rire. Telle une hystérique, elle ne cessait de hurler de rire, laissant l'écho de sa voix se percuter sur les murs. Le fil de ses pensées s'était envolé pendant ce bref instant. La destruction du monde et le ralentissement du temps lui paraissait loin à présent. Elle l'avait recalé dans un coin de sa tête et se concentrer à présent sur l'odeur s'échappant du plat. Elle rit et rit encore, sa gorge s'assécher, sa bouche n'avait plus une seule goutte de salive et elle continuait de rire. Elle n'avait pas bu depuis deux jours. Elle s'en fichait. Elle était convaincue d'être un dromadaire, d'avoir des ressources. Avant cette période, elle avait cru être un caméléon et s'était collé contre le mur en affirmant avoir changé de couleur. Encore avant ça, l'adolescente s'était prise pour une grenouille et sautait en tirant la langue, espérant attraper une proie. Bientôt, peut-être qu'elle se prendrait pour un zèbre et accepterait enfin de s'hydrater. C'était ce qu'ils espéraient. Il fallait attendre. Personne ne voulait se risquer d'entrer dans la salle et ils ne pouvaient donc faire que très peu de chose pour arranger la situation.

La jeune fille était folle. Elle l'avait toujours été. Nourrisson, âgée de quelques jours, elle avait été retrouvé devant la porte d'un vieux couples. Le couple avait accepté de s'en occuper, jusqu'à ce qu'ils se rendent compte qu'elle n'avait pas toute sa tête, déjà à cet âge. Ils n'avaient eu d'autre choix que de la confier. Agée d'un an, elle ne faisait que rire d'une voix complétement hystérique, en fixant son interlocuteur, comme si elle s'apprêtait à le manger tout cru. A cinq ans, elle parlait du diable comme s'il s'agissait de son plus fidèle ami, parlait aux murs et aux monstres sous son lit, dessinait un œil rouge sur le papier peint de sa chambre et marchait comme une araignée. A huit ans, elle se laissait tomber des escaliers, dormait en poirier, aboyer après les passants et comptait les grains de riz dans son assiette avant de les laisser glisser dans son pantalon. A douze ans, elle parlait de justice d'une voix malsaine, préméditait des meurtres de personnes choisi au hasard et mangeait le produit vaisselle, planquée dans l'armoire. Après ça, elle avait été envoyée dans un asile psychiatrique pour cas vraiment spéciaux. Depuis, elle ne s'était pas arrangée, au contraire.

Personne ne savait d'où elle venait. Personne n'avait réellement envie de le savoir. Si elle avait été abandonnée, c'est parce qu'elle respirait la bizarrerie. Ça en devenait terrifiant.

Les Mots NaufragésWhere stories live. Discover now