Chapitre 23

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My oh my! It hurts sometimes ;
I think I'm running out of time, before I'm gonna lose my mind



La chapelle de Bridgeville était d'assez petite taille, mais les murs clairs et les hautes fenêtres qui se découpaient sur le fond de la salle agrandissaient l'espace pour l'œil du visiteur. Ça, et le fait qu'elle était complètement vide à cette heure-ci. Devlin essuya machinalement la fine couche de poussière qui s'était déposée sur le premier banc avant d'y prendre place. Son regard songeur se promena sur l'autel, le lutrin, s'arrêta un instant sur le confessionnal, puis reprit son chemin jusqu'au crucifix accroché bien au centre entre les fenêtres. Toutes les églises lui semblaient familières. Peut-être que c'était l'un des attraits de la religion. Pouvoir retrouver si facilement ses repères, partout où on allait.

Les grandes portes grincèrent sur leurs gonds derrière lui.

— Je croyais que vous alliez pas à la messe. Vous gardez Dieu rien que pour vous ?

Le marshal sourit en tournant légèrement la tête, même s'il avait déjà reconnu la voix du nouvel arrivant.

— Vous n'allez pas à la messe non plus, que je sache, fit-il remarquer.

Des pas traînants remontèrent jusqu'à lui et Charlie se laissa tomber sur l'extrémité d'un banc, de l'autre côté de la travée centrale.

— Je vous ai vu entrer, ça m'a rendu tout curieux. Merde, ça fait drôle. J'ai pas foutu les pieds ici depuis une vingtaine d'années.

— Vous veniez avant ?

— Bien sûr. Tout le monde ici doit se montrer à la messe du dimanche. Même les pires enfoirés de la ville s'y achètent une respectabilité. Vendez de la drogue, battez votre femme, torturez votre chien, on regardera ailleurs. Tant que vous ne ratez pas la messe ! N'oubliez pas d'y amener vos enfants, si vous êtes pas trop occupé à les éduquer à coups de ceinture.

— Votre père vous y emmenait ?

— Bien sûr. Il y était très à l'aise, à côté de mon oncle qui avait abandonné femme et enfant parce qu'elles étaient trop colorées pour son prestige de bouseux. Vive la morale, vive la religion !

Le jeune homme porta un toast invisible et laissa retomber sa main sans dissimuler l'amertume que le lieu lui inspirait. Devlin ne l'avait encore jamais connu aussi virulent - mais c'était compréhensible.

— Si Grandmere me voyait maintenant, elle qui a jamais réussi à m'y traîner, reprit Charlie en s'affalant jusqu'à ce que sa nuque repose sur le dossier du banc. Ça la rendait dingue. Je la rendais dingue, de façon générale.

— C'est bien la seule, ironisa le marshal.

— Ha-ha. Et vous, c'est quoi votre excuse, pour être là ?

Le jeune homme glissa un regard narquois vers le confessionnal.

— Je crois qu'il y a des horaires, pour ça, commenta-t-il. A moins que ce bon pasteur poireaute là-dedans toute la journée ? Ça, ce serait rigolo.

— Je ne suis pas venu me confesser.

— Toute cette culpabilité, et même pas une petite envie de se faire pardonner ?

— Je n'ai envie de déposer ma culpabilité nulle part, à vrai dire. Je ne pense pas que c'est quelque chose dont on devrait se débarrasser. Et puis, je ne vais pas débarquer après presque trente ans sans nouvelles et demander à Dieu l'absolution.

— Ah, un camarade baptisé qui a tourné le dos à la religion. Encore une fois, c'est quoi votre excuse ?

— C'est la religion qui m'a tourné le dos, en l'occurrence.

Les Échos du bayouWhere stories live. Discover now