Quatrième Eclat

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Quarante-sept kilos.
Les côtes saillantes, le ventre et les joues creusées, les cernes profondes, la peau fine et veineuse. Les douleurs aux fesses quand il s'asseyait, la fatigue constante. Un squelette vivant, avec plus que de la peau sur les os, et qui continuait pourtant à vouloir se l'arracher.

Namjoon descendit de la balance, puis se plaça face au miroir. Il retira lentement son pull, observa les marques, plus ou moins profondes, qui retraçaient la ligne de ses veines, sur ses bras, son ventre, ses cuisses aussi sous le tissu de son jean bien trop grand. Les courbes bleutées dont le chemin était suivi par des cicatrices plus ou moins importantes, mais toujours aussi affreuses, toujours aussi honteuses et répugnantes.

Il soupira, se rhabilla.

Son Hyung était attablé, un café en main. D'ailleurs, lui se nourrissait principalement de caféine et, s'il avait pu, il se la serait directement versée dans les veines tant la sensation d'un liquide glissant dans son œsophage le faisait frissonner de dégout. Sa beauté évidente, éclairé ainsi par le soleil levant, n'éblouit même plus Namjoon. Refusant de penser à une quelconque disparition de sentiments il se convaincu qu'il n'était pas bien réveillé.

- Jin Hyung... tu ne trouves pas que j'ai maigri ?

- Mmh...

L'autre ne lui accorda pas même un regard, observant le chat des voisins qui sautait depuis leur balcon vers la fenêtre.

- ...Jin Hyung, tu me trouves beau ?

- Probablement ?

La voix hésitante de Seokjin montrait clairement qu'il n'accordait aucune attention à celui qu'il était censé aimer.

Namjoon se mit à pleurer et, son petit ami, trop absorbé par le chat tigré qui frottait son nez à la fenêtre, lui tourna le dos. Juste quelques secondes mais qui parurent suffisantes à l'autre pour qu'il prenne sa décision.

Namjoon se sentit si seul à cet instant, si seul, comme s'il se rendait soudainement compte de l'importance qu'il avait pour son compagnon, ou plutôt qu'il n'avait pas. Il courut dans la salle de bain, brisa tant bien que mal un nouveau rasoir, puis alla chercher sous son oreiller cette lettre qu'il avait écrit la veille. Il n'en pouvait plus. Il n'avait pas de raison de continuer à se battre aux côtés de rien du tout, aux côtés d'un vide absolument insupportable qu'il rêvait habité par des bras réconfortants et les mots les plus doux du monde.

La lame se planta profondément, bien plus qu'il n'avait jamais osé, et toute la retenue dont il n'avait jamais fait preuve s'effaça alors qu'il ciselait son poignet, juste en dessous de la paume de sa main. Il gémit, sous le choc de la violente vague de douleur, et se remit à pleurer, il n'avait jamais autant souffert d'un coup mais il ne se voyait pas arrêter, il ne se voyait pas reculer, le bras à moitié coupé déjà. Il s'écroula au sol. Un cri rauque lui échappa, la douleur arriva de plein fouet, mille fois plus violente encore, comme s'il plongeait dans un bain de feu, le sang gicla. En quelques dizaines de secondes il baignait dans une mare vermeille. Il avait touché une artère et il le savait, il le savait et il regrettait déjà, s'accroupissant, recroquevillé contre la porte de la douche, savourant les bouffées d'air, tentant d'oublier l'affreuse douleur que lui faisaient subir ses coupures.

Il avait si mal, mais comparé à son coeur en miettes, il se disait que ce n'était rien et que cette douleur était bien supportable. Il remua le petit instrument de mort dans sa plaie, jusqu'à ce que ses doigts s'engourdissent, c'est à dire à peine quelques dizaines de secondes.
Namjoon ne se rendit pas vraiment compte qu'il venait de s'ouvrir les veines, pas plus qu'il ne s'était pas rendu compte de sa maigreur. Il ressentait juste... Un sentiment curieux, et difficilement descriptible. Il réalisait à cet instant à quel point il aimait être en vie, respirer, et regarder autour de lui. La salle de bain, petite et banale lui parût sublime, chaque chose qui passait sous son regard l'émerveillait. Il regretta aussi ce sentiment amoureux et Jin parce que, malgré tout, même s'il savait que c'était mal, il s'était tellement accroché à lui qu'il ne pouvait plus l'oublier. Enfin, il le pensait.

Seokjin arriva dans la salle de bain, et ignora un temps son compagnon, perdu dans ses pensées. Dans des pensées égoïstes et bien trop lointaines.

La vision de Namjoon devenait floue, et Jin n'avait toujours pas appelé l'hôpital.

La couleurs des murs jaunâtre, les odeurs de savon et du shampoing à la rose de Seokjin, les bruits de son homme qui ouvrait le dentifrice, tout se mélangeait, se brouillait, se confondait, partait dans tous les sens. Mais il se battait encore parce il rêvait de croiser une dernière fois son regard.

Soudain, le jeune homme fut parcouru d'un long frisson brulant. Il sut que s'il fermait les yeux c'était pour ne plus les rouvrir ensuite. Alors, pendant les secondes qui lui restaient, il grava le visage de son amour dans sa tête. Il voulait ressentir l'amour une dernière fois, sentir son coeur qui pulsait tellement vite, même si la douleur était tellement forte qu'il parvenait à peine à rester conscient et à avoir quelques pensées cohérentes dans les brouillons confus qu'était sa tête obnubilée par la souffrance.

Il fixa ses lèvres, ses yeux, ses pommettes, la courbe de son nez, le délicat arqué de ses sourcils. Il ne savait plus vraiment pourquoi il faisait ça, qui il était, il recherchait dans ce visage familier, mais lointain, quelque chose qu'il n'y trouva pas.

Il n'y avait que Jin pourtant. Jin et la douleur. La douleur et Jin. Les cris ; la douleur.

Il paniqua un peu parce qu'il ne se calmait pas et qu'il avait si mal et puis... Non. Il n'en pouvait plus, c'était trop dur de ne pas se laisser aller alors...

Namjoon ferma les yeux ; et tandis que l'obscurité engloutissait son âme, Kim Seokjin pensa enfin à tendre la main vers son téléphone portable.

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Seokjin.
Mon amour.
Je t'aime.
je ne sais pas vraiment quoi te dire, quels actes justifier, quelles paroles retirer et quoi dire d'autre que... Je t'aime.
Tout est de ma faute, tu sais, ne culpabilises surtout pas.
Je t'expliquerais tout en détail quand je te reverrais, mon ange.
Nous nous retrouverons parmi les étoiles. Les étoiles de tes yeux.
Tu avais raison, je ne suis qu'une loque inutile et un déchet de la société.
Je t'ai aimé, un peu trop peut-être, d'un amour qui me semble si fort, et si faux...
Je te remercie d'avoir eu la grâce de m'aimer, un tant soit peu.
Un jour, nous regarderons les étoiles briller dans le ciel, comme avant, le jour où nous serons ensemble et où nous nous aimerons.
À bientôt, Namjoon.

Fake LovesWhere stories live. Discover now