1- Bienvenue dans mon monde [Corrigé]

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Enveloppée dans une doudoune noire, un parapluie me protégeant des intempéries, je slalome entre les flaques d'eau et les passants. L'hiver est arrivé comme une claque et cela fait vingt-trois jours que nous n'avons pas vu un seul rayon de soleil. Il est clair que, début décembre dans le nord de la France, les températures sont glaciales. Et pourtant je suis là, bravant la pluie torrentielle. Après tout, jamais aucun orage ne m'empêchera de boire mon café au caramel. À travers les rideaux de pluie, j'aperçois la devanture du Rescapé. Ni une ni deux, je pousse la porte et me glisse à l'intérieur.

Le Rescapé est un petit bistrot sympathique qui ne porte jamais aussi bien son nom qu'un samedi après-midi noyé sous la pluie. Les lumières sont tamisées, des feux brulent dans quelques cheminées et les meubles en bois participent à l'ambiance douce et chaleureuse. J'abaisse ma capuche, dégageant une masse de cheveux roux que j'ai miraculeusement réussis à sauver des trombes d'eau libérées par le ciel et balaye la place du regard. Le propriétaire derrière le comptoir m'adresse un joyeux « Salut Morgane ! » auquel je réponds par un signe de la main. Je me dirige vers un coin de la salle où un jeune homme est assis, les jambes étendues sous une table et une cigarette au bec. Il fume en regardant rêveusement par la fenêtre, récoltant des coups d'œil agacés d'un couple assis juste derrière.

Blond, les yeux bleus et un adorable sourire en coin, John est le fantasme de beaucoup de filles. Moi, je le connais depuis si longtemps qu'il m'est impossible de le considérer autrement que comme un frère...

« 13 septembre 2004. Il y a plein de bruits dans la salle et une petite fille pleure. Un garçon s'approche de moi, un bonnet enfoncé sur la tête et les bras croisés.

— Tu m'as piqué ma place.

Je fronce les sourcils. Ce bureau n'était pas à lui, d'abord. Je repousse une mèche qui me gratte la joue en le regardant. Il est plus grand que moi, mais il ne me fait pas peur. Il est drôle, avec ses cheveux comme de la paille.

— Nan, j'étais là avant toi. Mets-toi derrière.

Je m'assois en prenant tout mon temps rien que pour l'énerver. Il finit par aller s'installer juste derrière moi. Après un moment à bouder, il me tape l'épaule :

— Je m'appelle John. Et toi ?

— Morgane... »

Je me laisse tomber dans un large fauteuil sans même prêter attention à ce souvenir. Il me revient à l'esprit à chaque fois que je retrouve mon meilleur ami, comme une cassette abîmée qui tourne en boucle dans le lecteur qu'est ma mémoire. Vif, rempli d'odeurs, de bruits et de sensations,le souvenir semble daté d'hier et non d'il y a plus de quatorze ans. John se retourne vers moi et éloigne — Dieu merci — cet instrument du diable de ses lèvres.

« Anie ! Je pensais que t'allais me poser un lapin ! T'as intérêt à avoir une bonne excuse pour ton retard.

— C'est interdit de fumer à l'intérieur, dis-je simplement en enlevant ma veste. C'est écrit dans le deuxième point de l'article trois du règlement.

Oui, j'avais un jour lu le règlement intérieur du café en attendant qu'on vienne me servir. Et oui, je peux depuis ce jour le réciter en entier en commençant par la fin. Marrant, non ? Le blond sourit.

— Je sais, la serveuse me l'a dit. Mais elle a accepté de me laisser finir ma clope.

Je ne peux m'empêcher de lever les yeux au ciel. Devant mon expression agacée, John pousse un soupir théâtral et écrase sa cigarette dans son assiette puis relève les yeux vers moi :

— Tu vas bien ? Je t'ai commandé un café au caramel.

— Tout va toujours mieux après un café caramel, dis-je dans un soupir.

Mémoire en CavaleWhere stories live. Discover now