50 - Gérer les choses

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Tyron et moi rentrâmes à l'intérieur du bunker peu après le départ de son frère, et il se replongea aussitôt dans ses plans. Je pinçai les lèvres. C'était peut-être sa façon à lui de gérer sa tristesse, mais il allait vite apprendre que ce n'était pas la mienne. S'il comptait se refermer sur lui-même et laisser disparaître le Tyron que j'avais vu cet après-midi, il se trompait.

Je lui laissais une bonne vingtaine de minutes pour se ressaisir, mais en voyant qu'il ne sembla pas décidé à bouger, je décidai d'agir. Je me levai et allai jusque lui avant de poser la main sur son épaule :

- Viens.

- Pour faire quoi ? râla-t-il. Je suis occupé, ça se voit pas ?

Sympa l'humeur. Je roulai des yeux et le tirais par le bras :

- Viens je te dis. Fais-moi confiance. Tu as encore trois jours pour bosser sur ces plans si on s'en tient à notre date. C'est pas en mourant de fatigue que tu vas être efficace.

Il sembla hésiter un instant avant d'acquiescer doucement et de se lever. Je le tirais aussitôt jusque mon lit et m'assis en tailleur dessus, l'intimant d'un signe de tête à faire de même. Avec un soupire las, il s'installa en face de moi.

- Ferme les yeux, ordonnais-je.

Il arqua un sourcil perplexe. J'insistai, et il finit par obéir en soufflant. J'en profitais pour le contempler un instant telle la voyeuse que j'étais, avant de baisser les yeux.

- Quelle profondeur a t'il atteinte, à l'intérieur de lui-même ? récitai-je à voix basse. Des brasses ? Des kilomètres ? Des années-lumière ? Quelle profondeur et qu'elle obscurité ? Et la réponse lui vint : trop profond pour voir dehors. Il se cache là dans le fond, dans les ténèbres et c'est trop profond pour voir dehors.

Tyron ouvrit un il comme pour se demander si j'étais sérieuse. Voyant que c'était le cas, il fronça les sourcils.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Un extrait de mon livre.

Je lui désignai le Stephen King posé sur le lit. Il acquiesça et sembla se demander ce qu'il avait à voir là-dedans. Ce passage était resté ancré dans ma tête, et je me sentais obligée de le lui répéter. J'attrapai doucement sa main et posai ses yeux sur ses longs doigts agiles, abimés comme tout son corps par les épreuves qu'il avait traversé.

- Je ne te laisserais pas te renfermer Tyron. Maintenant, on est plus que tous les deux. Il va falloir qu'on se soutienne. Je sais que tu es malheureux. Mais parle-moi. Sinon tu seras bientôt bien trop profond pour voir le jour. Tu as dit toi-même que chaque seconde était précieuse. Prouve-le. Sans James, j'ai peur que tu ne te perdes au fond de toi-même.

Je vis son corps se relâcher légèrement sous mes paroles, et sa main s'agrippa à la mienne. J'avais fait mouche. J'avais toujours peur de ne pas trouver les mots avec lui, sachant qu'il suffirait de peu pour qu'il se renferme dans sa coquille. Il releva les yeux vers moi et hocha la tête :

- Ça ira. Je ne me suis juste jamais séparé de lui plus de quelques jours. Il était un des seuls piliers qui me permettait de tenir debout... peut-être même le seul. Je vois mal comment je peux réussir quoi que ce soit sans lui.

- Pourquoi l'avoir laissé partir alors ? Pourquoi ne pas lui avoir dit ce que tu ressens ?

Il ferma les yeux, comme s'il se posait lui-même la question. Il secoua la tête :

- C'était la première fois qu'il pouvait avoir l'occasion d'avoir... une vraie vie. Jamais il n'a vraiment pu vivre normalement. Quel frère cela aurait-il fait de moi si je l'empêchai de partir ? Il à la chance de pouvoir le faire, et il en a envie. Je ne pouvais pas le retenir dans cette vie.

Mémoire en CavaleWhere stories live. Discover now