13 - Inspiration, Expiration

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Oui, je sais, ce n'est pas très glorieux, voire même complètement lâche mais mon fameux instinct de survie fait marcher mes jambes pour moi. Je cours à toute vitesse dans le parking entre deux rangées de voitures, fonçant du côté où toutes les ampoules sont grillées. Ma respiration est comprimée dans ma poitrine et, alors même que je ne vois pas mes pieds, je ne m'arrête pas. Pendant un moment, les seuls sons qui me parviennent aux oreilles sont ma respiration hachée et mon cœur battant. Et puis, finalement, le bruit que je redoute.

Deux coups de feu résonnent dans tout le parking, amplifiés par cet espace clos. J'ai un sursaut d'horreur tandis que l'écho de cris de douleur parviennent jusqu'à moi. Mes pieds s'emmêlent et je m'affale contre le béton en poussant un gémissement. Je me relève, complètement perdue, en proie à une panique sourde et recommence à courir. Je n'entraperçois la voiture garée devant moi que bien trop tard. Je m'écrase sur le capot avant et roule à nouveau à terre, la tête sur le bitume.

Des bruits de pas retentissent non loin de là et mon souffle s'arrête. Non, non non... Toujours à terre, rampant sur mes fesses, je contourne la voiture et finis par me cogner le dos contre une paroi. Je me faufile dans l'espace entre le coffre et le mur et m'immobilise, les genoux relevés. Je cache ma tête entre mes mains, tout le corps tremblant et essaie de calmer ma respiration.

« « L'hypermnésie peut entraîner des psychoses, des angoisses ou des poussées d'agressivité. Il faudra que Morgane apprenne à gérer ça. Je l'aiderai, bien sûr, mais ce sera également un long travail personnel. »

J'ai cinq ans. Je suis assise sur une chaise entre mes deux parents, face à la psychologue qui me suivra toute mon enfance et mon adolescence. Nous sommes en juillet, le bureau est grand, aéré et il n'y fait pas trop chaud. De l'autre côté de la vitre, un papillon est posé sur une fleur en pot. Mon père me serre la main de façon rassurante tandis que, à ma gauche, ma mère me la compresse comme si elle voulait me punir. J'ai envie de lui crier que c'est pas de ma faute, tout ça !

« Je suis sûre qu'elle s'en sortira, avance mon père. Elle est forte.

— Ne dis pas n'importe quoi, rétorque ma mère en le foudroyant du regard avant de reporter son attention sur le docteur. Est-ce que ça se soigne ? »

La psy semble surprise. Elle pose ses yeux sur moi, les sourcils froncés, avant de dévisager tour à tour mes parents.

« Non, ça me paraît évident que non. Il s'agit bien d'un syndrome et non d'une maladie curative. Nous pourrons lui trouver des remèdes contre le stress que pourrait provoquer ses souvenirs et des anti-dépresseurs quand elle sera en âge. L'hypermnésie ne se soigne pas, non, comme presque tout ce qui touche à la mémoire. Mais je suis sûre qu'en vous aimant et en lui envoyant des ondes positives, vous vous en sortirez et...

- On s'en sortira pas alors. »

Ce sont les premiers mots que je prononce devant ma psy. Tous se tournent vers moi et je replonge dans ma contemplation du papillon. Je ne veux pas les regarder.
En fin de journée, je suis encore avec Mme Lefèvre. Elle pose les mains sur mes épaules :

« Voilà ce que tu dois faire si tu ne te sens pas bien. Tu inspires longuement et tu expires. Concentre-toi sur des pensées positives qui t'ancrent dans le présent et non le passé. Pense aux gens que tu aimes. N'hésite pas à toucher, sentir ou regarder ton environnement : tes sens t'aideront à rester en phase avec l'instant. »

J'approuve d'un signe de tête en regardant mes mains.

« Allez, avec moi maintenant. Tu inspires, et tu expires. »

Tu inspires... »

et tu expires...

« Tu inspires... et tu expires... Des...des choses positives... les gens que j'aimes... »

Après avoir répété ce mantra une petite minute à voix basse, ma respiration finit par se calmer. Je tremble encore mais j'arrive à me ressaisir peu à peu. Les sens aux aguets, j'entends les bruits de pas de Tyron qui me cherche toujours, à une quinzaine de mètres de là. Je prie pour qu'il arrête sa fouille ici, bien que je me doute qu'il ne le fera pas. J'en sais beaucoup trop pour qu'il puisse me laisser me volatiliser.

« Morgane ? »

La voix de Tyron résonne dans le parking et l'écho me fait sursauter. Je cache mon visage entre mes mains tremblantes, incapable de bouger.

« Je peux pas sortir de là sans toi, Freeman. J'étais sérieux en disant que je ne voulais pas plus verser de sang, mais là il s'agit de nos vies. Je te conseille de te ramener ici au plus vite. »

Je ne bouge toujours pas. Inspiration, expiration... j'entends ses pas qui approchent et vois le faisceau d'une lumière sous la voiture. Ma respiration se coupe à nouveau et je ferme les yeux.

Vous connaissez cette sensation quand vous regardez un film, que vous voyez que le héros va faire quelque chose de vraiment stupide et dangereux mais que vous ne pouvez rien faire pour l'en empêcher ? C'est à peu près le sentiment qui me traverse à cet instant tandis que, du bout des doigts, j'attrape un caillou par terre. Je m'y agrippe, le souffle court, les oreilles tendues vers les pas qui approchent. Sans réfléchir, je tends le bras et lance la pierre sur la gauche de la voiture, le plus loin possible. Le galet vole avant de rebondir plusieurs fois sur le sol, le bruit sourd résonnant dans tout le parking. Aussitôt, le faisceau de la lampe se tourne vers l'origine du son et j'entends les pas de Tyron s'éloigner rapidement.

Je n'hésite pas plus et prends mes jambes à mon cou dans la direction opposée, espérant profiter de l'obscurité ambiante. Seulement, Tyron se retourne vivement au bruit de ma course folle et m'illumine de sa lampe torche. Il crie mon nom mais je l'entends à peine, courant aussi vite que je le peux, car ma vie en dépends et qu'il doit bien y avoir quelque part, pas loin, une sortie qui m'emmènerait loin de ce parking infernal.

Je ne sais pas ensuite ce qui arrive en premier. Le coup de feu, ou bien la douleur cuisante qui s'étend dans mon bras. Je pousse un cri de souffrance et tombe - pour la troisième fois - par terre. Ma tête cogne contre le bitume tandis que je serre mon bras contre moi, pliée en deux par la peur et la douleur.

« Merde ! »

Il m'a tiré dessus, il l'a vraiment fait !


***

Et encore un nouveau chapitre ! Alors, la réaction de Tyron fut à votre goût ?

Trop violent ? Pas assez peut-être ( sait-on jamais, vous êtes peut-être des sadiques refoulés ) ? 😏Qu'en pensez-vous ? Et surtout, que me conseillez vous pour la suite ? 😊

Toute proposition sera savamment examinée et pourra me donner de nouvelles idées alors lâchez-vous !

Bonne journée à vous tous !😘

Mémoire en CavaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant