3. Esprit mal placé

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- Tu vois, lui ?

Cléo me pointe le fameux Ken du doigt. Lui et ses amis ne sont jamais très loin du bar. J'ai parfois l'impression que c'est calculé. Puis la partie la plus lucide de moi préfère parler de coïncidence. Ils sont forcément logés dans le coin. Nous ne sommes pas le seul bar de plage, mais de loin le meilleur, sans prétention –peut-être un peu-.

Giannis arrive toujours à nous dégoter de superbes musiciens. Il y fait bon vivre et la nourriture est bonne pour un prix raisonnable. Sa marge, il la fait sur la location de transats. Cette année il a même investi dans une dizaine de lits à baldaquins, tous, complets du matin au soir. Les touristes sont prêts à y mettre le prix mais je dois avouer que les galets brulants de la plage nous a pas mal aidé dans leur prise de décision.

J'acquiesce tout en posant mon plateau sur le bar.

- C'est un chanteur.

- Comment ça ?

- Il chante des trucs, avec ses potes là. Il est connu en France.

- C'est lui qui t'a dit ça ?

- Son pote. Il m'a montré une vidéo. J'ai rien compris je t'avoue. Je lui ai demandé s'il n'avait pas changé la vitesse sans faire exprès mais apparemment sa langue se délie plutôt vite.

Je prends soin d'écarter toute pensée suggestive.

- Montre un peu plus d'atouts si tu veux des pourboires. À mon avis les leurs ils doivent être intéressants.

Elle dispose en prenant soin de remonter sa poitrine généreuse. Je soupire en rigolant.

Intéressant tout de même, le zieuteur anonyme se fait zieuter ailleurs... Il faut que je voie ça.

J'attends ma pause à quatorze heures, quand les clients se font rares pour attraper mon casque et mon téléphone. Je me souviens soudainement du premier nom qu'il m'avait donné en se présentant... du moins pas vraiment. Ça commençait par un N... Ou alors un K...

Nai... Nai...

- Tu parles toute seule ? À qui tu dis oui ? Demande Nikos en me tapotant l'épaule. (NDA : Nai = Oui)

- Non, je... je pensais. Dis-je après avoir pouffé.

- Penses plus et vas piquer une tête, elle est trop bonne !

- Ce soir !

Il m'ébouriffe les cheveux et s'en va. J'enfile mon casque et tente de me rappeler du nom... En vain. Je tente un minable « ken musique » qui me renvoie vers des vidéos de Street Fighter.

Tant pis.

J'enclenche ma musique du moment et traverse la route pour me rendre sur la plage. Rien de mieux qu'une séance de bronzage improvisé entre deux services. Rien ne rend plus radieux que le soleil.

Je déplie ma serviette, retire mes sandales et t-shirt puis m'allonge en un soupire de soulagement. C'est pour ces choses toutes simples que j'aime mon île. Pour rien au monde je la quitterais. Certes les temps sont parfois durs, l'hiver dernier a été rude. Cette île ne vit que l'été, mais ces étés sont justes merveilleux. Je jongle entre ici et Paris. L'été, je suis là pour rendre visite à mon père et aider Giannis, un vieil ami de la famille qui m'a prise sous son aile dès le moment où j'ai eu besoin d'argent de poche. Puis quand le temps se refroidit et que la saison se termine, je pars voir mon frère ou ma mère. Il arrive que je reste ici aussi, mais la plupart du temps, je préfère bouger. Je ne suis pas du genre casanière.

En parlant de ma mère voilà qu'elle se décide à m'appeler pour son heure hebdomadaire de « racontage de vie même quand je n'ai rien raconté ». C'est étrange qu'elle m'appelle à cette heure là. Je réponds tout de même.

- Salut maman.

- Ma chérie comment tu vas ?

- Au top de ma forme et toi qu'est-ce qui t'amène ?

- Ma plomberie a sauté et je n'arrive pas à joindre ton abruti de père.

Je lève les yeux au ciel et la laisse me conter ses mésaventures. Mes parents sont divorcés depuis près de 10 ans mais cela ne les a pas empêchés de rester en termes « cordiaux » pour mon frère et moi. Cependant, personne n'a refait sa vie, sérieusement du moins. Du coup ma mère trouve ça parfaitement normal de l'appeler pour ses accidents domestiques. Même si elle se trouve à deux, trois milliers de kilomètres de lui et qu'elle pourrait demander à quelqu'un de plus proche.

Ma mère... Qu'est-ce que je l'aime.

J'écoute son monologue que d'une seule oreille, pas très intéressée. Avant que mes yeux ne se posent sur un homme plutôt attrayant qui sort de l'eau.

Encore lui... Décidément.

Monsieur Ken qui sort de l'eau, luisant remettant ses mèches rebelles en arrière d'un geste de main rapide et confiant. Je ne loupe rien du spectacle. Il est à quelques mètres, il semble m'avoir vu aussi puisqu'il m'observe, longtemps avant de reprendre place sur son transat.

Je souffle et me rallonge. Ma mère s'offusque et me demande si je l'embête. Elle ne veut pas comprendre qu'il y a plus intéressant qu'une tuyauterie bouchée.

- Le monde ne tourne pas autour du destop, maman.

Par contre il peut bien tourner autour du morceau qui me jette des regards fiévreux à neuf heures.

Irina, non. Ne succombes pas à tes vieux démons, tu es plus forte que ça.

C'est vrai que j'ai vu et revu ce que cela faisait de succomber à ce genre de blaireau aux pecs saillants. C'était pas beau à voir.

Les souvenirs sont assez forts pour me faire ramasser mes affaires et quitter cet endroit.

Nek...Quoi ?Opowieści tętniące życiem. Odkryj je teraz